Posté : jeu. mars 18, 2010 5:11 pm
tabernacle !!
De nombreux hôpitaux québécois connaissent depuis plusieurs semaines une situation quasiment explosive : ainsi, le taux d’occupation moyen dans les services d’urgences de Montréal atteignait 134 % lors de la dernière semaine de février. Ces difficultés seraient en partie le fait d’une pénurie d’infirmières chronique et croissante : il en manquerait aujourd’hui 2 000 au Québec. Bien que le nombre de nouvelles diplômées ait connu une très forte augmentation ces dix dernières années, passant de 997 en 1997 à 2 880 en 2006, les tensions demeurent en effet.
Plusieurs raisons l’expliquent et notamment la part importante des postes à temps partiel qui concernent 40 % des infirmières et 60 % des infirmières auxiliaires. En outre, nombreuses sont celles, parmi les jeunes, qui choisissent d’abandonner leur métier. Selon la présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), Régine Laurent, elles seraient 15 à 20 % à renoncer à leur vocation après moins de trois ans d’exercice. Ce phénomène est lié à des conditions de travail de plus en plus difficiles, symbolisées par un recours de plus en plus fréquent aux heures supplémentaires obligatoires. « Les infirmières qui font des 16 heures et même des 24 heures dans une journée, ce n’est pas rare. Normale qu’elles soient épuisées », assure ainsi la présidente de la FIQ. A cet état de fait déjà inquiétant s’ajoute la perspective du départ à la retraite de 15 000 infirmières d’ici trois ans, ce qui ne fera qu’aggraver une situation de pénurie alarmante.
Soutien historique
Pour manifester leur inquiétude et leur colère, les infirmières ont multiplié les actions symboliques ces dernières semaines, dont la plus marquante fut le refus d’une quinzaine d’infirmières de l’hôpital du Haut Richelieu à Montréal de prendre leur service à 16 heures ce vendredi 12 mars. Elles n’acceptèrent de rentrer dans l’établissement qu’après cinq heures de négociation à l’issue desquelles elles obtinrent de la direction la garantie qu’elles ne seraient plus contraintes d’effectuer des heures supplémentaires le week-end.
Cependant, au-delà de ces solutions ponctuelles, les infirmières réclament que des mesures majeures soient prises. Leurs principales exigences concernent une augmentation des postes à temps plein, une hausse des primes accordées la nuit et le week-end et une progression de leurs rémunérations de 3,75 % pendant trois ans. Fait particulièrement remarquable, ces revendications ont obtenu hier soir le soutien des représentants des médecins du Québec. Une conférence de presse, ce lundi 15 mars est venue souligner l’union entre les praticiens et les infirmières, considérée comme « historique » par la FIQ.
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Neurobiologie
La soumission chimique
Annihiler la résistance d'un preneur d'otages au moyen d'un aérosol paralysant, faire parler un prisonnier à l'aide d'un sérum de vérité ou encore rendre une personne docile afin d'abuser d'elle : de nombreuses substances permettent d'assujettir autrui.
Patrick Barriot
01 novembre 2006| CERVEAU & PSYCHO
La soumission d'un individu peut être obtenue par la contrainte physique ou morale. Dans ce cas, l'obéissance et la docilité résultent du recours à la violence ou à la menace. Au cours des dernières décennies, grâce aux progrès des neurosciences et de la psychopharmacologie, un troisième mécanisme s'est développé : la soumission chimique. Cette dernière se définit habituellement comme l'administration à des fins criminelles ou délictueuses d'un ou de plusieurs produits psychoactifs à l'insu de la victime. Il s'agit de substances médicamenteuses qui rendent la victime vulnérable en abolissant ses réflexes de protection et ses réactions de défense. Il est alors facile de profiter de la diminution de ses performances intellectuelles ou physiques, de l'amener à agir contre ses intérêts, de la violer, de lui extorquer une signature ou des aveux.
Les molécules utilisées à des fins de soumission chimique mettent le plus souvent en jeu des mécanismes cérébraux inhibiteurs responsables de troubles de la vigilance et de la mémoire. D'autres circuits cérébraux pourraient être activés par l'administration de substances chimiques. Il ne s'agirait plus de soumettre un individu en inhibant un comportement de défense, mais en suscitant un comportement de confiance excessif qu'il ne possède pas spontanément.
La soumission chimique est un mode d'interaction privilégié entre les animaux : les prédateurs utilisent de nombreuses substances chimiques pour capturer et dévorer leurs proies. Certains parasites sécrètent des molécules capables de modifier le comportement de leur hôte au point de les pousser au suicide. Les vers gordiens ou nématomorphes sont des parasites d'insectes terrestres, tels les grillons et les criquets. C'est ainsi que la larve du ver parasite Paragordius tricuspidatus se développe dans un grillon. Au bout de quelques mois, le ver mature doit impérativement atteindre un milieu aquatique pour se reproduire et achever son cycle. Sous l'emprise de molécules produites par le ver parasite, le grillon se dirige inexorablement vers un plan d'eau, s'y jette et se noie. Le ver s'en extirpe alors, et rejoint des partenaires sexuels. Dans cet exemple, l'hôte est soumis à la stratégie de reproduction du parasite par le biais de molécules modifiant son comportement et provoquant sa mort par noyade.
Soumission dans tout le règne animal
De même, chez les insectes sociaux, les femelles reproductrices produisent des substances chimiques aux effets draconiens : les reines émettent des phéromones qui inhibent le développement sexuel des autres femelles, maintenues dans la caste des ouvrières. Chez les abeilles, la « substance royale » inhibe le développement des ovaires des ouvrières et les empêche de construire des cellules royales à l'intérieur de la ruche. Les ouvrières élaborent alors des alvéoles hexagonaux qui abriteront les larves des futures ouvrières. Si la reine vieillit ou meurt, la production de phéromone cesse et les ouvrières construisent des cellules oblongues à la périphérie des rayons où se développeront de futures reines.
Enfin, chez les mammifères (notamment chez les orangs-outangs), les mâles reproducteurs provoquent souvent, par le biais de phéromones, la castration chimique d'autres mâles ainsi maintenus dans une caste de « sous-mâles ». Ce phénomène ressemble beaucoup à celui observé dans les sociétés d'insectes. Dans ces deux types de sociétés une catégorie d'adultes voit son pouvoir reproductif amoindri ou aboli, de façon temporaire ou définitive, par des phéromones émises par des individus dominants.
Chez l'homme, les molécules utilisées à des fins de soumission chimique permettent soit d'enrayer le fonctionnement du cerveau en provoquant une perte de connaissance et un coma médicamenteux, soit d'anéantir sa résistance mentale et de provoquer sa docilité, soit encore de susciter artificiellement sa bienveillance.
La soumission chimique avec perte de connaissance est parfois pratiquée lors de prises d'otages, comme ce fut le cas le 15 mai 1993, lorsqu'un dénommé Eric Schmitt, surnommé Human Bomb, prit en otages les enfants d'une classe de maternelle de Neuilly-sur-Seine. Le preneur d'otages fut abattu dans son sommeil, après avoir été drogué au moyen d'un agent anesthésique versé dans son café, le gamma-hydoxybutyrate de sodium ou gamma-oh.
Comment a fonctionné la soumission chimique dans ce cas ? Pour le comprendre, examinons ce qui, dans le cerveau, contribue à maintenir un individu alerte et éveillé, ou ce qui le plonge au contraire dans un état de passivité, de sommeil ou de coma. Dans le cerveau, le degré de vigilance est commandé par le cortex frontal, partie antérieure de l'encéphale. Cette zone est connectée à un centre nommé thalamus, qui reçoit notamment les informations visuelles et auditives de l'extérieur. Le thalamus peut exciter le cortex frontal via des connexions fonctionnant à l'aide du glutamate, un neuromédiateur excitateur, ou bien il peut inhiber le cortex frontal via des connexions fonctionnant à l'aide du gaba (acide gamma-aminobutyrique), un neuromédiateur inhibiteur. Dans ce contexte, le gamma-oh utilisé en soumission chimique modifie la façon dont le thalamus active ou inhibe le cortex frontal. Il active les circuits inhibiteurs et inhibe les circuits excitateurs, ces deux effets conjugués aboutissant à une diminution de la vigilance (voir l'encadré ci-contre).
Il existe d'autres techniques de soumission chimique fondées sur une neutralisation du cortex frontal. Lors de la prise d'otages du théâtre de la Doubrovka à Moscou, le 26 octobre 2002, les forces de sécurité russes ont diffusé un gaz anesthésiant pour neutraliser les terroristes avant de les abattre. Ce gaz dont les autorités russes, invoquant le secret d'État, refusent de divulguer la composition exacte, contenait un aérosol de Fentanyl, opiacé utilisé en anesthésie, et un agent anesthésiant halogéné tel l'halothane.
Le Fentanyl est un analogue très puissant de la morphine : il se fixe sur les récepteurs spécifiques des opiacés (la morphine est un opiacé) en particulier dans le cortex temporal et le système limbique. À très fortes doses, cela entraîne une sédation qui atténue la vigilance de l'individu. Quand ils sont activés par un opiacé, les récepteurs morphiniques kappa provoquent une sédation, car ils réduisent l'intensité des signaux dans les neurones du cortex dits glutamatergiques (le glutamate est un neuromédiateur excitateur). Les agents anesthésiants, tel l'halothane, s'insèrent dans les membranes neuronales dont ils modifient l'état, et ils inhibent de façon non spécifique les influx activateurs : ils perturbent toutes les fonctions physiologiques du cerveau.
Les drogues de l'obéissance
Ces effets se conjuguent et, après quelques inhalations, les preneurs d'otages furent plongés dans un coma médicamenteux profond avec dépression respiratoire. Notons ici que la militarisation des médicaments constitue un emprunt forcé à la médecine, le « médicament d'assaut » se situant à mi-chemin entre le gaz anesthésique et le gaz de combat. L'épisode du théâtre moscovite a révélé, au terme d'un drame ayant fait plus de 100 victimes, que l'usage de ces méthodes comporte des risques évidents. Ces armes présentées comme non létales possèdent en réalité un pouvoir mortifère en deux temps : elles paralysent avant de tuer. Mais il ne s'agit pas à proprement parler de soumission, car il n'y a pas d'obéissance : la victime est livrée inconsciente à la merci du manipulateur.
Différente est la véritable soumission chimique qui requiert un certain niveau de conscience chez la victime, laquelle doit obéir à des injonctions ou à des incitations nécessitant une certaine activité motrice et mentale : participation à des pratiques sexuelles, signature de chèques ou de documents, réponses à un interrogatoire. Le premier effet recherché lors de l'administration d'un agent de soumission chimique est l'altération du niveau de conscience. Le gamma-oh, mais aussi les benzodiazépines et les barbituriques peuvent être utilisés à cette fin. Ces molécules agissent sur les voies inhibitrices mentionnées précédemment, qui relient notamment le thalamus au cortex frontal. Elles se fixent généralement sur les récepteurs du gaba, dont elles modifient l'ouverture : les benzodiazépines augmentent la fréquence d'ouverture du récepteur-canal, les barbituriques en augmentent la durée. Des doses modérées de gamma-oh peuvent placer le sujet dans un état d'obéissance : incapable d'opposer la moindre résistance psychique aux ordres qu'on lui adresse, il comprend néanmoins les injonctions et les exécute passivement.
Comment expliquer une telle docilité ? Prenons le cas du pentothal, barbiturique utilisé aussi bien comme agent anesthésique que comme « sérum de vérité ». Si l'on administre une dose élevée, le sujet s'endort et peut même faire un arrêt respiratoire : il n'est pas en état de réaliser les actions qu'on lui demande, car son cortex frontal est entièrement anesthésié. Mais s'il reçoit une faible dose, l'inhibition du cortex frontal est partielle : on dit que le sujet est dans un état crépusculaire, somnolent. L'activité partielle du cortex frontal lui permet de comprendre ce qu'on lui dit, mais pas d'analyser les conséquences possibles des injonctions reçues, ni de s'y opposer. En effet, l'évaluation des conséquences d'un acte suppose une activité soutenue des lobes frontaux, ce dont le sujet est alors incapable. Son comportement est davantage de l'ordre de l'automatisme, le même que chez certains patients victimes de lésions frontales, qui se comportent comme des automates, sans être en mesure de juger si leurs actes sont appropriés.
Dès lors, une personne sous l'emprise d'un tel composé ne contrôle pas ses réponses aux questions posées dans le cadre d'un interrogatoire visant à extorquer des aveux ou des confidences. Pour comprendre ce qui se passe, songez à ce que vous faites lorsque vous décidez de ne pas livrer une information que vous jugez personnelle ou secrète : votre interlocuteur vous pose une question, et les informations stockées dans votre mémoire (qui permettraient de répondre à la question) sont réactivées, c'est-à-dire que vous y pensez, mais que vous ne les prononcez pas. C'est le cortex frontal qui joue le rôle de barrière et vous permet de garder les informations que vous ne voulez pas transmettre. Dès lors, si l'activité du cortex frontal est altérée, le filtre est anéanti, et les informations stockées en mémoire sont énoncées en réponse aux questions posées.
Oublier tout
L'action de ces molécules sur le cortex a une autre conséquence : l'amnésie antérograde qui se manifeste chez les victimes de cette soumission chimique. Bien souvent, une victime violée sous l'emprise d'une substance chimique ne garde aucun souvenir du viol. Le cerveau est incapable d'acquérir de nouvelles informations et de mémoriser de nouveaux souvenirs après l'administration de la drogue, car le stockage des informations semble requérir l'action conjointe de l'hippocampe et des lobes frontaux. Ainsi, la neurologue Jamie Ward, de l'Université de Londres, a constaté que des patients victimes de lésions des lobes frontaux sont incapables de mémoriser les faits survenus après leur accident. Heureusement, dans le cas d'une soumission chimique, le lobe frontal est réactivé quand la drogue cesse de produire son effet, mais les souvenirs correspondant à cette parenthèse ne sont pas stockés. Ceci entraîne bien évidemment une difficulté supplémentaire dans l'identification de tels forfaits et de leurs auteurs.
Toutefois, soulignons qu'il ne suffit pas de disposer de quelques composés chimiques pour obtenir toutes les informations que l'on désire de la part d'une personne. Encore faut-il savoir les utiliser et les doser. Enfin, étant donné la complexité des mécanismes neurochimiques en jeu, une même substance peut avoir un effet inhibiteur sur certains circuits et excitateur sur d'autres. Ainsi, le gamma-oh peut entraîner à la fois des effets inhibiteurs (troubles de la vigilance et de la mémoire) et une levée d'inhibition sexuelle (exacerbation de la libido et effets aphrodisiaques).
De nombreux travaux sont aujourd'hui consacrés à la neurobiologie des comportements sociaux complexes, de l'attachement social ou de la fidélité. Le but de ces recherches est bien entendu thérapeutique : il s'agit de traiter les patients souffrant de repli pathologique, de perte de contact, d'isolement ou de détachement, par exemple chez les personnes autistes ou schizophrènes. Mais déjà certains évoquent la possibilité d'influencer des individus en créant artificiellement un comportement de confiance qu'ils ne présentent pas spontanément. La vasopressine et l'ocytocine suscitent à cet égard le plus grand intérêt.
La vasopressine et l'ocytocine sont des neurohormones produites par l'hypothalamus. La première contrôle l'équilibre hydrominéral de l'organisme. L'ocytocine, libérée au moment de la naissance, provoque la contraction de l'utérus et la montée de lait chez la mère. Comme l'ensemble des neurotransmetteurs, la vasopressine et l'ocytocine agissent sur des récepteurs spécifiques présents dans diverses aires cérébrales, telles que l'hypothalamus, l'insula ou le noyau accumbens. D'après des études récentes, ces molécules influeraient sur certains comportements complexes intervenant dans la formation des liens sociaux.
Chez l'animal, la vasopressine intervient aussi dans certains comportements de reconnaissance sociale, tel le marquage de territoire. L'ocytocine intervient dans l'induction et le maintien du comportement maternel. Chez l'homme, si le rôle de la vasopressine reste mal connu, on commence à comprendre comment l'ocytocine promeut la formation de liens sociaux, rend plus amical et plus confiant vis-à-vis d'autrui. Les travaux de Peter Kirsch, à l'Université de Giessen, en Allemagne, ont récemment précisé que l'injection d'ocytocine réduit l'activité du complexe amygdalien, un centre cérébral spécialisé notamment dans la perception de la peur. Mieux encore, l'ocytocine réduit le couplage des activités du complexe amygdalien et de ses relais nerveux dans le tronc cérébral supérieur, relais qui transmettent l'information de nature anxiogène au cœur et aux muscles. Ainsi, l'ocytocine pourrait promouvoir le lien social en réduisant la peur de l'autre. Quant à la vasopressine, une étude réalisée à l'Université de Lausanne a révélé qu'elle stimule des populations de neurones voisins de ceux activés dans le complexe amygdalien par l'ocytocine.
Société et soumission
Ces neuropeptides qui peuvent être diffusés sous forme de spray seraient susceptibles d'induire des comportements de confiance, mais également de favoriser la fidélité et la monogamie. L'équipe de Ernst Fehr, à l'Université de Zurich, a récemment montré que l'ocytocine vaporisée dans le nez de volontaires rend ces derniers plus généreux dans des jeux de société de type Monopoly. Un conjoint volage pourrait-il être ainsi ramené dans le « droit chemin » ? Certains s'inquiètent de la possibilité d'inspirer confiance à une proie sexuelle, un client potentiel ou un électeur. Le neurobiologiste américain Antonio Damasio s'est interrogé à ce sujet : « On peut se demander si des agents électoraux ne seront pas tentés d'asperger généreusement la foule d'ocytocine afin qu'elle rallie leurs candidats. »
Nous avons essentiellement évoqué ici les utilisations criminelles ou délictueuses de substances chimiques déclenchant la soumission. Mais les apports de la biologie moléculaire et des neurosciences offrent des possibilités inouïes de soumission chimique sous couvert d'avantages thérapeutiques. La soumission au marché de l'industrie pharmaceutique, qui élargit de façon excessive les indications des nouvelles molécules, tend à normaliser les comportements humains. Tout citoyen est un malade qui ne peut plus s'ignorer. Citons un exemple : la « normalisation » chimique de la libido.
Après le succès du Viagra dans le traitement des dysfonctions érectiles chez l'homme, des laboratoires tentent de mettre au point une pilule du plaisir pour les femmes. L'Américain Procter et Gamble a déjà commercialisé un patch à la testostérone, l'Intresa, premier stimulant de la libido féminine. En théorie, l'Intresa est réservé aux baisses du désir sexuel survenant après une ablation chirurgicale des ovaires, le plus souvent à cause d'un cancer. C'est en effet la diminution de la testostérone après ovariectomie qui entraîne une perte de désir, constatée dans près d'un tiers des ménopauses chirurgicales. En pratique, dans de nombreux pays, les praticiens proposent ce type de traitement à des patientes naturellement ménopausées et souffrant de troubles du désir ou à des femmes non ménopausées se plaignant de défaillances passagères de la libido. Aux États-Unis, un cinquième des ordonnances de testostérone délivrées à des hommes seraient en fait destinées à des femmes. Pourtant, la testostérone peut entraîner les effets secondaires gênants des hormones mâles et ses conséquences à long terme dans cette indication sont mal connues. La notion de « dysfonction sexuelle féminine » est dénoncée par certains comme une construction de l'industrie pharmaceutique visant à développer un nouveau marché. La prise en charge des dysfonctions sexuelles féminines représenterait un marché colossal, de l'ordre de 20 milliards de dollars et de nombreuses entreprises de biotechnologies se lancent vers ce nouvel eldorado. Les molécules étudiées pour stimuler la libido féminine sont désormais des neuromédiateurs, tels que la mélanocortine, l'ocytocine ou la sérotonine. Au regard des progrès fulgurants de la soumission chimique, la plus grande vigilance est de rigueur.
De nombreux hôpitaux québécois connaissent depuis plusieurs semaines une situation quasiment explosive : ainsi, le taux d’occupation moyen dans les services d’urgences de Montréal atteignait 134 % lors de la dernière semaine de février. Ces difficultés seraient en partie le fait d’une pénurie d’infirmières chronique et croissante : il en manquerait aujourd’hui 2 000 au Québec. Bien que le nombre de nouvelles diplômées ait connu une très forte augmentation ces dix dernières années, passant de 997 en 1997 à 2 880 en 2006, les tensions demeurent en effet.
Plusieurs raisons l’expliquent et notamment la part importante des postes à temps partiel qui concernent 40 % des infirmières et 60 % des infirmières auxiliaires. En outre, nombreuses sont celles, parmi les jeunes, qui choisissent d’abandonner leur métier. Selon la présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), Régine Laurent, elles seraient 15 à 20 % à renoncer à leur vocation après moins de trois ans d’exercice. Ce phénomène est lié à des conditions de travail de plus en plus difficiles, symbolisées par un recours de plus en plus fréquent aux heures supplémentaires obligatoires. « Les infirmières qui font des 16 heures et même des 24 heures dans une journée, ce n’est pas rare. Normale qu’elles soient épuisées », assure ainsi la présidente de la FIQ. A cet état de fait déjà inquiétant s’ajoute la perspective du départ à la retraite de 15 000 infirmières d’ici trois ans, ce qui ne fera qu’aggraver une situation de pénurie alarmante.
Soutien historique
Pour manifester leur inquiétude et leur colère, les infirmières ont multiplié les actions symboliques ces dernières semaines, dont la plus marquante fut le refus d’une quinzaine d’infirmières de l’hôpital du Haut Richelieu à Montréal de prendre leur service à 16 heures ce vendredi 12 mars. Elles n’acceptèrent de rentrer dans l’établissement qu’après cinq heures de négociation à l’issue desquelles elles obtinrent de la direction la garantie qu’elles ne seraient plus contraintes d’effectuer des heures supplémentaires le week-end.
Cependant, au-delà de ces solutions ponctuelles, les infirmières réclament que des mesures majeures soient prises. Leurs principales exigences concernent une augmentation des postes à temps plein, une hausse des primes accordées la nuit et le week-end et une progression de leurs rémunérations de 3,75 % pendant trois ans. Fait particulièrement remarquable, ces revendications ont obtenu hier soir le soutien des représentants des médecins du Québec. Une conférence de presse, ce lundi 15 mars est venue souligner l’union entre les praticiens et les infirmières, considérée comme « historique » par la FIQ.
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Neurobiologie
La soumission chimique
Annihiler la résistance d'un preneur d'otages au moyen d'un aérosol paralysant, faire parler un prisonnier à l'aide d'un sérum de vérité ou encore rendre une personne docile afin d'abuser d'elle : de nombreuses substances permettent d'assujettir autrui.
Patrick Barriot
01 novembre 2006| CERVEAU & PSYCHO
La soumission d'un individu peut être obtenue par la contrainte physique ou morale. Dans ce cas, l'obéissance et la docilité résultent du recours à la violence ou à la menace. Au cours des dernières décennies, grâce aux progrès des neurosciences et de la psychopharmacologie, un troisième mécanisme s'est développé : la soumission chimique. Cette dernière se définit habituellement comme l'administration à des fins criminelles ou délictueuses d'un ou de plusieurs produits psychoactifs à l'insu de la victime. Il s'agit de substances médicamenteuses qui rendent la victime vulnérable en abolissant ses réflexes de protection et ses réactions de défense. Il est alors facile de profiter de la diminution de ses performances intellectuelles ou physiques, de l'amener à agir contre ses intérêts, de la violer, de lui extorquer une signature ou des aveux.
Les molécules utilisées à des fins de soumission chimique mettent le plus souvent en jeu des mécanismes cérébraux inhibiteurs responsables de troubles de la vigilance et de la mémoire. D'autres circuits cérébraux pourraient être activés par l'administration de substances chimiques. Il ne s'agirait plus de soumettre un individu en inhibant un comportement de défense, mais en suscitant un comportement de confiance excessif qu'il ne possède pas spontanément.
La soumission chimique est un mode d'interaction privilégié entre les animaux : les prédateurs utilisent de nombreuses substances chimiques pour capturer et dévorer leurs proies. Certains parasites sécrètent des molécules capables de modifier le comportement de leur hôte au point de les pousser au suicide. Les vers gordiens ou nématomorphes sont des parasites d'insectes terrestres, tels les grillons et les criquets. C'est ainsi que la larve du ver parasite Paragordius tricuspidatus se développe dans un grillon. Au bout de quelques mois, le ver mature doit impérativement atteindre un milieu aquatique pour se reproduire et achever son cycle. Sous l'emprise de molécules produites par le ver parasite, le grillon se dirige inexorablement vers un plan d'eau, s'y jette et se noie. Le ver s'en extirpe alors, et rejoint des partenaires sexuels. Dans cet exemple, l'hôte est soumis à la stratégie de reproduction du parasite par le biais de molécules modifiant son comportement et provoquant sa mort par noyade.
Soumission dans tout le règne animal
De même, chez les insectes sociaux, les femelles reproductrices produisent des substances chimiques aux effets draconiens : les reines émettent des phéromones qui inhibent le développement sexuel des autres femelles, maintenues dans la caste des ouvrières. Chez les abeilles, la « substance royale » inhibe le développement des ovaires des ouvrières et les empêche de construire des cellules royales à l'intérieur de la ruche. Les ouvrières élaborent alors des alvéoles hexagonaux qui abriteront les larves des futures ouvrières. Si la reine vieillit ou meurt, la production de phéromone cesse et les ouvrières construisent des cellules oblongues à la périphérie des rayons où se développeront de futures reines.
Enfin, chez les mammifères (notamment chez les orangs-outangs), les mâles reproducteurs provoquent souvent, par le biais de phéromones, la castration chimique d'autres mâles ainsi maintenus dans une caste de « sous-mâles ». Ce phénomène ressemble beaucoup à celui observé dans les sociétés d'insectes. Dans ces deux types de sociétés une catégorie d'adultes voit son pouvoir reproductif amoindri ou aboli, de façon temporaire ou définitive, par des phéromones émises par des individus dominants.
Chez l'homme, les molécules utilisées à des fins de soumission chimique permettent soit d'enrayer le fonctionnement du cerveau en provoquant une perte de connaissance et un coma médicamenteux, soit d'anéantir sa résistance mentale et de provoquer sa docilité, soit encore de susciter artificiellement sa bienveillance.
La soumission chimique avec perte de connaissance est parfois pratiquée lors de prises d'otages, comme ce fut le cas le 15 mai 1993, lorsqu'un dénommé Eric Schmitt, surnommé Human Bomb, prit en otages les enfants d'une classe de maternelle de Neuilly-sur-Seine. Le preneur d'otages fut abattu dans son sommeil, après avoir été drogué au moyen d'un agent anesthésique versé dans son café, le gamma-hydoxybutyrate de sodium ou gamma-oh.
Comment a fonctionné la soumission chimique dans ce cas ? Pour le comprendre, examinons ce qui, dans le cerveau, contribue à maintenir un individu alerte et éveillé, ou ce qui le plonge au contraire dans un état de passivité, de sommeil ou de coma. Dans le cerveau, le degré de vigilance est commandé par le cortex frontal, partie antérieure de l'encéphale. Cette zone est connectée à un centre nommé thalamus, qui reçoit notamment les informations visuelles et auditives de l'extérieur. Le thalamus peut exciter le cortex frontal via des connexions fonctionnant à l'aide du glutamate, un neuromédiateur excitateur, ou bien il peut inhiber le cortex frontal via des connexions fonctionnant à l'aide du gaba (acide gamma-aminobutyrique), un neuromédiateur inhibiteur. Dans ce contexte, le gamma-oh utilisé en soumission chimique modifie la façon dont le thalamus active ou inhibe le cortex frontal. Il active les circuits inhibiteurs et inhibe les circuits excitateurs, ces deux effets conjugués aboutissant à une diminution de la vigilance (voir l'encadré ci-contre).
Il existe d'autres techniques de soumission chimique fondées sur une neutralisation du cortex frontal. Lors de la prise d'otages du théâtre de la Doubrovka à Moscou, le 26 octobre 2002, les forces de sécurité russes ont diffusé un gaz anesthésiant pour neutraliser les terroristes avant de les abattre. Ce gaz dont les autorités russes, invoquant le secret d'État, refusent de divulguer la composition exacte, contenait un aérosol de Fentanyl, opiacé utilisé en anesthésie, et un agent anesthésiant halogéné tel l'halothane.
Le Fentanyl est un analogue très puissant de la morphine : il se fixe sur les récepteurs spécifiques des opiacés (la morphine est un opiacé) en particulier dans le cortex temporal et le système limbique. À très fortes doses, cela entraîne une sédation qui atténue la vigilance de l'individu. Quand ils sont activés par un opiacé, les récepteurs morphiniques kappa provoquent une sédation, car ils réduisent l'intensité des signaux dans les neurones du cortex dits glutamatergiques (le glutamate est un neuromédiateur excitateur). Les agents anesthésiants, tel l'halothane, s'insèrent dans les membranes neuronales dont ils modifient l'état, et ils inhibent de façon non spécifique les influx activateurs : ils perturbent toutes les fonctions physiologiques du cerveau.
Les drogues de l'obéissance
Ces effets se conjuguent et, après quelques inhalations, les preneurs d'otages furent plongés dans un coma médicamenteux profond avec dépression respiratoire. Notons ici que la militarisation des médicaments constitue un emprunt forcé à la médecine, le « médicament d'assaut » se situant à mi-chemin entre le gaz anesthésique et le gaz de combat. L'épisode du théâtre moscovite a révélé, au terme d'un drame ayant fait plus de 100 victimes, que l'usage de ces méthodes comporte des risques évidents. Ces armes présentées comme non létales possèdent en réalité un pouvoir mortifère en deux temps : elles paralysent avant de tuer. Mais il ne s'agit pas à proprement parler de soumission, car il n'y a pas d'obéissance : la victime est livrée inconsciente à la merci du manipulateur.
Différente est la véritable soumission chimique qui requiert un certain niveau de conscience chez la victime, laquelle doit obéir à des injonctions ou à des incitations nécessitant une certaine activité motrice et mentale : participation à des pratiques sexuelles, signature de chèques ou de documents, réponses à un interrogatoire. Le premier effet recherché lors de l'administration d'un agent de soumission chimique est l'altération du niveau de conscience. Le gamma-oh, mais aussi les benzodiazépines et les barbituriques peuvent être utilisés à cette fin. Ces molécules agissent sur les voies inhibitrices mentionnées précédemment, qui relient notamment le thalamus au cortex frontal. Elles se fixent généralement sur les récepteurs du gaba, dont elles modifient l'ouverture : les benzodiazépines augmentent la fréquence d'ouverture du récepteur-canal, les barbituriques en augmentent la durée. Des doses modérées de gamma-oh peuvent placer le sujet dans un état d'obéissance : incapable d'opposer la moindre résistance psychique aux ordres qu'on lui adresse, il comprend néanmoins les injonctions et les exécute passivement.
Comment expliquer une telle docilité ? Prenons le cas du pentothal, barbiturique utilisé aussi bien comme agent anesthésique que comme « sérum de vérité ». Si l'on administre une dose élevée, le sujet s'endort et peut même faire un arrêt respiratoire : il n'est pas en état de réaliser les actions qu'on lui demande, car son cortex frontal est entièrement anesthésié. Mais s'il reçoit une faible dose, l'inhibition du cortex frontal est partielle : on dit que le sujet est dans un état crépusculaire, somnolent. L'activité partielle du cortex frontal lui permet de comprendre ce qu'on lui dit, mais pas d'analyser les conséquences possibles des injonctions reçues, ni de s'y opposer. En effet, l'évaluation des conséquences d'un acte suppose une activité soutenue des lobes frontaux, ce dont le sujet est alors incapable. Son comportement est davantage de l'ordre de l'automatisme, le même que chez certains patients victimes de lésions frontales, qui se comportent comme des automates, sans être en mesure de juger si leurs actes sont appropriés.
Dès lors, une personne sous l'emprise d'un tel composé ne contrôle pas ses réponses aux questions posées dans le cadre d'un interrogatoire visant à extorquer des aveux ou des confidences. Pour comprendre ce qui se passe, songez à ce que vous faites lorsque vous décidez de ne pas livrer une information que vous jugez personnelle ou secrète : votre interlocuteur vous pose une question, et les informations stockées dans votre mémoire (qui permettraient de répondre à la question) sont réactivées, c'est-à-dire que vous y pensez, mais que vous ne les prononcez pas. C'est le cortex frontal qui joue le rôle de barrière et vous permet de garder les informations que vous ne voulez pas transmettre. Dès lors, si l'activité du cortex frontal est altérée, le filtre est anéanti, et les informations stockées en mémoire sont énoncées en réponse aux questions posées.
Oublier tout
L'action de ces molécules sur le cortex a une autre conséquence : l'amnésie antérograde qui se manifeste chez les victimes de cette soumission chimique. Bien souvent, une victime violée sous l'emprise d'une substance chimique ne garde aucun souvenir du viol. Le cerveau est incapable d'acquérir de nouvelles informations et de mémoriser de nouveaux souvenirs après l'administration de la drogue, car le stockage des informations semble requérir l'action conjointe de l'hippocampe et des lobes frontaux. Ainsi, la neurologue Jamie Ward, de l'Université de Londres, a constaté que des patients victimes de lésions des lobes frontaux sont incapables de mémoriser les faits survenus après leur accident. Heureusement, dans le cas d'une soumission chimique, le lobe frontal est réactivé quand la drogue cesse de produire son effet, mais les souvenirs correspondant à cette parenthèse ne sont pas stockés. Ceci entraîne bien évidemment une difficulté supplémentaire dans l'identification de tels forfaits et de leurs auteurs.
Toutefois, soulignons qu'il ne suffit pas de disposer de quelques composés chimiques pour obtenir toutes les informations que l'on désire de la part d'une personne. Encore faut-il savoir les utiliser et les doser. Enfin, étant donné la complexité des mécanismes neurochimiques en jeu, une même substance peut avoir un effet inhibiteur sur certains circuits et excitateur sur d'autres. Ainsi, le gamma-oh peut entraîner à la fois des effets inhibiteurs (troubles de la vigilance et de la mémoire) et une levée d'inhibition sexuelle (exacerbation de la libido et effets aphrodisiaques).
De nombreux travaux sont aujourd'hui consacrés à la neurobiologie des comportements sociaux complexes, de l'attachement social ou de la fidélité. Le but de ces recherches est bien entendu thérapeutique : il s'agit de traiter les patients souffrant de repli pathologique, de perte de contact, d'isolement ou de détachement, par exemple chez les personnes autistes ou schizophrènes. Mais déjà certains évoquent la possibilité d'influencer des individus en créant artificiellement un comportement de confiance qu'ils ne présentent pas spontanément. La vasopressine et l'ocytocine suscitent à cet égard le plus grand intérêt.
La vasopressine et l'ocytocine sont des neurohormones produites par l'hypothalamus. La première contrôle l'équilibre hydrominéral de l'organisme. L'ocytocine, libérée au moment de la naissance, provoque la contraction de l'utérus et la montée de lait chez la mère. Comme l'ensemble des neurotransmetteurs, la vasopressine et l'ocytocine agissent sur des récepteurs spécifiques présents dans diverses aires cérébrales, telles que l'hypothalamus, l'insula ou le noyau accumbens. D'après des études récentes, ces molécules influeraient sur certains comportements complexes intervenant dans la formation des liens sociaux.
Chez l'animal, la vasopressine intervient aussi dans certains comportements de reconnaissance sociale, tel le marquage de territoire. L'ocytocine intervient dans l'induction et le maintien du comportement maternel. Chez l'homme, si le rôle de la vasopressine reste mal connu, on commence à comprendre comment l'ocytocine promeut la formation de liens sociaux, rend plus amical et plus confiant vis-à-vis d'autrui. Les travaux de Peter Kirsch, à l'Université de Giessen, en Allemagne, ont récemment précisé que l'injection d'ocytocine réduit l'activité du complexe amygdalien, un centre cérébral spécialisé notamment dans la perception de la peur. Mieux encore, l'ocytocine réduit le couplage des activités du complexe amygdalien et de ses relais nerveux dans le tronc cérébral supérieur, relais qui transmettent l'information de nature anxiogène au cœur et aux muscles. Ainsi, l'ocytocine pourrait promouvoir le lien social en réduisant la peur de l'autre. Quant à la vasopressine, une étude réalisée à l'Université de Lausanne a révélé qu'elle stimule des populations de neurones voisins de ceux activés dans le complexe amygdalien par l'ocytocine.
Société et soumission
Ces neuropeptides qui peuvent être diffusés sous forme de spray seraient susceptibles d'induire des comportements de confiance, mais également de favoriser la fidélité et la monogamie. L'équipe de Ernst Fehr, à l'Université de Zurich, a récemment montré que l'ocytocine vaporisée dans le nez de volontaires rend ces derniers plus généreux dans des jeux de société de type Monopoly. Un conjoint volage pourrait-il être ainsi ramené dans le « droit chemin » ? Certains s'inquiètent de la possibilité d'inspirer confiance à une proie sexuelle, un client potentiel ou un électeur. Le neurobiologiste américain Antonio Damasio s'est interrogé à ce sujet : « On peut se demander si des agents électoraux ne seront pas tentés d'asperger généreusement la foule d'ocytocine afin qu'elle rallie leurs candidats. »
Nous avons essentiellement évoqué ici les utilisations criminelles ou délictueuses de substances chimiques déclenchant la soumission. Mais les apports de la biologie moléculaire et des neurosciences offrent des possibilités inouïes de soumission chimique sous couvert d'avantages thérapeutiques. La soumission au marché de l'industrie pharmaceutique, qui élargit de façon excessive les indications des nouvelles molécules, tend à normaliser les comportements humains. Tout citoyen est un malade qui ne peut plus s'ignorer. Citons un exemple : la « normalisation » chimique de la libido.
Après le succès du Viagra dans le traitement des dysfonctions érectiles chez l'homme, des laboratoires tentent de mettre au point une pilule du plaisir pour les femmes. L'Américain Procter et Gamble a déjà commercialisé un patch à la testostérone, l'Intresa, premier stimulant de la libido féminine. En théorie, l'Intresa est réservé aux baisses du désir sexuel survenant après une ablation chirurgicale des ovaires, le plus souvent à cause d'un cancer. C'est en effet la diminution de la testostérone après ovariectomie qui entraîne une perte de désir, constatée dans près d'un tiers des ménopauses chirurgicales. En pratique, dans de nombreux pays, les praticiens proposent ce type de traitement à des patientes naturellement ménopausées et souffrant de troubles du désir ou à des femmes non ménopausées se plaignant de défaillances passagères de la libido. Aux États-Unis, un cinquième des ordonnances de testostérone délivrées à des hommes seraient en fait destinées à des femmes. Pourtant, la testostérone peut entraîner les effets secondaires gênants des hormones mâles et ses conséquences à long terme dans cette indication sont mal connues. La notion de « dysfonction sexuelle féminine » est dénoncée par certains comme une construction de l'industrie pharmaceutique visant à développer un nouveau marché. La prise en charge des dysfonctions sexuelles féminines représenterait un marché colossal, de l'ordre de 20 milliards de dollars et de nombreuses entreprises de biotechnologies se lancent vers ce nouvel eldorado. Les molécules étudiées pour stimuler la libido féminine sont désormais des neuromédiateurs, tels que la mélanocortine, l'ocytocine ou la sérotonine. Au regard des progrès fulgurants de la soumission chimique, la plus grande vigilance est de rigueur.