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par Arnaud BASSEZ » lun. févr. 19, 2018 6:05 pm
Publié le 19/02/2018
Analgésie par opioïdes après la chirurgie : combien de temps ?
Avec 259 millions de prescriptions d’opioïdes en 2012, soit 4 fois plus qu’en 1999 aux États-Unis, la sur-prescription d’analgésiques a été mise en cause dans l’épidémie galopante de surconsommation d’opioïdes et de leurs effets secondaires, dont l’accoutumance et les décès par overdose. D’où la limitation autoritaire de la prescription initiale à moins de 7 jours dans plusieurs États. Cependant, il existe peu de recommandations scientifiques quant aux prescriptions d’opioïdes après chirurgie. Quelle est la durée optimale de traitement par opioïdes dans une population de patients venant d’être opérés et ne prenant habituellement pas ce type de médicament ?
Le référentiel des données du système de santé militaire du ministère de la Défense a été utilisé pour identifier les personnes âgées de 18 à 64 ans naïves de traitement par opioïdes et qui avaient bénéficié d’1 des 8 interventions chirurgicales les plus courantes entre le 1er janvier 2005 et le 30 septembre 2014.
Une semaine dans la plupart des cas
Parmi 215 140 patients (107 588 femmes et 107 552 hommes, d’âge moyen [DS], 40,1 [12,8] ans) qui ont bénéficié d’une intervention chirurgicale et qui ont fait l’objet d’au moins 1 prescription d’opioïdes dans les 14 jours postopératoires, 41 107 (19,1 %) ont eu au moins une ordonnance de renouvellement. Les durées médianes de prescription étaient 4 jours (intervalle interquartile [IQR], 3-5 jours) pour l'appendicectomie et la cholécystectomie, 5 jours (IQR, 3-6 jours) pour la réfection de hernie inguinale, 4 jours (IQR, 3-5 jours) pour l’hystérectomie, 5 jours (IQR, 3-6 jours) pour la mastectomie, 5 jours (IQR, 4-8 jours) pour la réfection du ligament croisé antérieur et celle de la coiffe des rotateurs, et 7 jours (IQR, 5-10 jours) pour la discectomie. De 11,3 à 39,3 % des patients ont nécessité au moins un renouvellement de prescription. Le renouvellement de la prescription après une prescription initiale se situait à J9 dans les suites de la chirurgie générale (probabilité de renouvellement 10,7 %), à J13 dans les suites d’interventions gynécologiques (probabilité de renouvellement, 16,8 %) et à J15 dans les suites d’interventions musculo-squelettiques (probabilité de renouvellement, 32,5 %).
Idéalement, la prescription d'opioïdes après chirurgie doit combiner l’efficacité antalgique, la réduction de la durée du traitement et une moindre survenue de complications médicamenteuses, dont la dépendance. Bien qu’une durée de 7 jours soit probablement adéquate dans la plupart des interventions de chirurgie générale et gynécologiques courantes, elle est certainement trop restrictive lorsqu’il s’agit de chirurgie orthopédique ou de neurochirurgie. D’autres travaux s’imposent afin de mieux identifier les 10 à 30 % des patients qui auront besoin d'une prise en charge de la douleur plus intensive et plus longue.
Dr Bernard-Alex Gaüzère
Référence
Scully RE, Schoenfeld AJ, Jiang W, Lipsitz S, Chaudhary MA, Learn PA, Koehlmoos T, Haider AH, Nguyen LL : Defining Optimal Length of Opioid Pain Medication Prescription After Common Surgical Procedures. JAMA Surg., 2018; 153 : 37-43. doi: 10.1001/jamasurg.2017.3132.
jim.fr
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Publié le 14/02/2018
Pas de consensus sur le traitement extra-hospitalier des surdosages en opiacés
Depuis l’année 2000, le nombre de décès par surdosage en opiacés a été multiplié par quatre, atteignant 33 000 en 2015 aux Etats-Unis. Les surdosages de ce type sont fréquemment traités, en milieu extra hospitalier, avec de la naloxone administrée en règle par un personnel d’assistance médicale d’urgence ou par des non spécialistes. Malgré l’existence de recommandations et de protocoles d’utilisation, il existe encore des incertitudes quant à la dose optimale à utiliser, la voie préférentielle d’administration et la conduite à tenir après réversibilité clinique.
Une revue systématique a été entreprise par R Chou et collaborateurs afin de préciser la meilleure voie d’administration (intra nasale, intra veineuse, intra musculaire, voire sous cutanée) et la posologie adéquate de l’hydrochloride de naloxone en cas de surdosage en opiacés (dont témoignent altération de l’état mental, dépression respiratoire et myosis) survenu en milieu extra hospitalier. La revue a aussi tenté de préciser si un transfert vers une structure médicale était nécessaire après un surdosage.
Elle a été menée grâce à une recherche bibliographique dans les principales banques de données informatiques, dont MEDLINE, de 1946 à Septembre 2017. De façon classique, 2 investigateurs ont revu, indépendamment, l’ensemble des abstracts et des articles qui remplissaient les critères d’éligibilité à ce travail. Ils en ont apprécié les risques de biais et, pour chacune des questions posées, assigné un niveau de preuve. De par le nombre réduit de publications retenues et leur hétérogénéité, il n’a pas été procédé à une méta analyse. Les paramètres étudiés ont été la mortalité, la possibilité d’arrêt cardiaque ou respiratoire , la réversibilité de la symptomatologie sous naloxone (retour à une respiration spontanée et à un niveau de conscience satisfaisant), le délai de récupération, la récidive possible de signes de surdosage, la survenue de complications telles qu’un œdème pulmonaire non cardiogénique, la fonctionnalité de la délivrance des soins, enfin les dangers potentiels (signes de sevrage, agressivité ou blessure des sauveteurs). Sur 200 articles relus en texte intégral, 13 seulement remplissaient les critères d’inclusion dans la revue. Aucun n’émanait de laboratoires pharmaceutiques producteurs de naloxone.
La naloxone aussi efficace en intra nasal qu’en intra musculaire
Trois essais cliniques randomisés (effectif, n, de 100 à 182 participants) et 4 études de cohorte (n= 93-609) ont analysé diverses voies d’administration. Tous comportaient des lacunes méthodologiques. Un essai a apprécié l’administration de naloxone en intra nasal (2 mg/mL) vs intra musculaire (2 mg). Aucune différence n’a été observée dans le taux de réponses satisfaisantes (reprise d’une respiration spontanée efficace avec fréquence d’au moins 10 cycles par minute ou score de Glasgow égal ou supérieur à 13 à la 10e minute), respectivement dans 72 vs 78 % des cas, soit un Odds Ratio ajusté à 0,7 (intervalle de confiance à 95 % [IC] : 0,3-1,5). On ne retrouvait pas non plus de divergences dans le délai moyen de réponse (8,0 vs 7,9 minutes), le risque d’agitation ou de violences au réveil (6,0 vs 7,9 %, soit un risque relatif RR à 0,77 ; IC : 0,25- 2,3). Dans cet essai toutefois, la voie intra nasale a nécessité plus fréquemment une seconde administration de naloxone, dans 18 % des cas vs 4,5 % (OR : 4,8 ; IC : 1,4- 16). Un autre essai, avec la même posologie en intra nasal mais avec concentration moindre (2 mg /5 mL) donne des résultats moins satisfaisants mais signale un risque d’agitation secondaire plus faible (niveau de preuve modeste).
Un essai clinique distinct et 2 études de cohorte se sont attachés, pour leur part, à comparer les voies d’administration intra nasale et intra veineuse. L’essai clinique avait été mené en Iran et était difficilement transposable aux USA. Les 2 études de cohorte ont fait apparaître des différences entre les 2 voies d’administration mais comportaient toutes 2 de sévères défauts méthodologiques. Aucun travail n’a évalué les bénéfices et les risques des diverses voies d’administration en fonction des caractéristiques démographiques des patients étudiés, d’autres facteurs (poly intoxication, co morbidités, antécédents de surdosage…), du type de personnel de secours ou de son niveau d’entraînement.
Il a été impossible de retrouver une étude ayant comparé, pour une même voie d’administration, diverses posologies. Aucune n’a testé la formulation hautement concentrée (2 à 4 mg/ 0,1 mL), récemment approuvée par la FDA. Aucune, non plus, n’a mesuré de façon comparative les délais de récupération qui étaient très variables, allant de 1 à 2 minutes dans certaines publications jusqu’à 5 à10 minutes dans d’autres.
La question du transfert en milieu médicalisé
La revue systématique a envisagé, par ailleurs, la problématique du transport secondaire après administration de naloxone. Six études non contrôlées, dont 4 menées aux USA, ont fait état d’un nombre réduit de décès ou d’évènements pathologiques sévères (0 à 1,25 %) en cas de non transport en milieu hospitalier. Dans toutes, le risque de biais était notable et leurs résultats difficiles à interpréter, a fortiori à généraliser.
Ainsi, alors que l’administration de naloxone est commune en cas de suspicion de surdosage aux opiacés, les critères de prise en charge optimale restent à préciser. A posologie identique de 2 mg, la voie intra nasale à forte concentration (2 mg/mL) parait aussi efficace que la voie intra musculaire. La concentration plus faible (2 mg/5 mL) est, a priori, moins utile (niveau de preuve faible), de par, probablement une bio disponibilité plus réduite avec un volume délivré effectif ne dépassant pas 0,5 mL par narine. Les diverses voies d’administration n’ont pas été comparées entre elles non plus que les différentes posologies. Il a été difficile de déterminer l’intérêt d’un transport systématique en milieu médical après réversibilité du surdosage. Aucune étude n’a porté sur les dispositifs d’auto injection, ni sur la formulation nasale avec forte concentration.
De nombreuses réserves doivent être formulées en ce qui concerne cette revue systématique. Les publications sélectionnées avaient toutes des failles méthodologiques. Les nouvelles méthodes d’administration n’ont pas été évaluées et leur applicabilité non plus. Dans la plupart des observations rapportées, les caractéristiques de l’overdose n’ont pas été précisées ; elle n’était pas causée par les récents opiacés de synthèse à fort potentiel. Le niveau de pratique du personnel soignant n’a pas été documenté. Des recherches additionnelles restent donc nécessaires portant sur l’optimisation de l’usage de la naloxone en milieu extra hospitalier, sur l’indication, en cas de non réversibilité ou de réversibilité partielle, de l’administration d’une seconde dose, sur, également, l’intérêt d’un transport secondaire en milieu hospitalier.
En conclusion, l’apport de naloxone, à la concentration de 2 mg/mL, par voie intra nasale, semble avoir la même efficacité qu’une administration par voie intra musculaire, à posologie identique (2 mg), sur la réversibilité des symptômes d’un surdosage en opiacés, sans différence notable quant aux effets secondaires potentiels. Des travaux complémentaires restent à venir pour définir la place des auto injections et des formulations nasales à forte concentration récemment approuvées par la FDA. L’absence de transfert en milieu médical après disparition des signes de surdosages semble être associé à un taux très faible de survenue d’événements pathologiques ultérieurs mais aucune étude n’a évalué, à ce jour, le bénéfice d’un transport vs un non transport.
Dr Pierre Margent
Référence
Chou R et coll. : Management of Suspected Opioid Overdose with Naloxone in Out -of-Hospital Settings : a systematic review. Annals Intern Med., 2017; 167: 867-875. doi: 10.7326/M17-2224.
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