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Enjeux et effets de la démographie médicale d’ici à 2030
De nombreuses statistiques et études constatent que la période qui s’ouvre va être marquée par une baisse généralisée des effectifs médicaux et de la densité médicale. Quels sont les effets et les enjeux de cette situation ?
Enjeux et effets de la démographie médicale d'ici à 2030
Un retard de la décrue annoncée...
Dans le Livre Blanc de la cardiologie, l’économiste spécialiste de la santé Claude Le Pen constate que le pire ne s’est pas encore produit. En effet, au début des années 2000, les prévisions annonçaient une baisse des effectifs à partir de 2005. Or, cette décrue n’est pas aussi importante qu’annoncée. Claude Le Pen affirme : "Pour l’instant, on est un peu à un pic, jamais il n’y a eu autant de médecins en France et jamais il n’y en aura à l’avenir". Cette constatation doit être corrélée avec la prise en compte récente des médecins étrangers dans les effectifs du corps médical. Nous sommes donc à une date-charnière. Après le pic, le versant.
...mais de grandes inquiétudes pour les 10 prochaines années
Le Dr Michel Legmann, président du Conseil national de l’Ordre des médecins est plus inquiet. Selon lui, entre 2008 et 2009, le nombre de médecins actifs pour 100 000 habitants est passé de 322 à 312. Une première. "Les augmentations du numerus clausus ne suffisent pas puisqu’on ne retrouve pas à la sortie des études les médecins qu’on est en droit d’attendre". Le numerus clausus a en effet augmenté à partir de 2000, après été divisé par trois depuis les années 1970. Une augmentation qui arrive trop tard pour compenser les futurs départs en retraite des médecins ?
Une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) sur la démographie médicale en 2030 confirme que la densité des médecins devrait considérablement baisser. De 312 pour 100 000 habitants aujourd’hui, elle serait alors de 292. A cette baisse générale s’ajouterait une augmentation des inégalités géographiques avec un renforcement du regroupement des médecins dans les centres urbains : "Dans pratiquement toutes les régions, plus de la moitié des médecins exerceraient en pôle urbain avec Centre hospitalier universitaire (CHU)".
Pour la DREES, il est indispensable d’anticiper dès maintenant les évolutions futures de la population médicale et des patients : "L’évaluation des besoins futurs nécessite de tenir compte du vieillissement de la population, des variations de prévalence des pathologies, de l’évolution des techniques médicales, de la coopération entre professionnels de santé et des objectifs visés en matière de politique de santé".
Cependant, si l’effectif médical devrait tout de même suffire en 2030, la période critique est 2012-2020. Une période où l’augmentation du numerus clausus n’aura pas encore pris effet et où la population vieillissante nécessitera plus de soins qu’aujourd’hui. Gérer l’offre médicale à cette période est un des enjeux majeurs des hôpitaux français.
La situation à l’AP-HP
Le Dr Silvia Pontone, chargée de mission à la Direction de la politique médicale de l’AP-HP, travaille depuis 1990 sur les questions de démographie médicale. Elle a notamment publié avec Pascal Maury La démographie médicale à l’AP-HP :
Etat des lieux et prospectives à l’horizon 2020 : projet pour le plan stratégique 2010-2014 dont l’objectif était identifier les ressources médicales actuelles et futures pour apprécier la capacité de l’institution à s’adapter aux évolutions de la demande de soins. Si les effectifs médicaux de l’AP-HP ont globalement augmenté entre 1997 et 2007, ils pourraient baisser du fait de l’augmentation des départs à la retraite et d’un renouvellement des effectifs insuffisant. Ceci est une conséquence directe de la baisse du numerus clausus dans les années 1980-2000.
D’après le rapport sur la démographie médicale de l’AP-HP, presque toutes les disciplines devraient pouvoir renouveler leurs effectifs de titulaires d’ici 2015 et faire face à la demande de soins. Quatre disciplines posent problème : l’anesthésie-réanimation, l’anatomie et cytologie pathologiques, la médecine nucléaire et la radiologie.
Compte tenu du contexte de raréfaction des ressources humaines médoicales, l’AP-HP a engagé un plan d’adaptation en deux volets pour maintenir la qualité et la sécurité des soins :
— Renforcer la gestion prévisionnelle des effectifs médicaux et en particulier le recrutement après le clinicat. Pour cela, l’AP-HP doit être attractive pour fidéliser ses internes et chefs de cliniques et réduire la mobilité professionnelle de ses praticiens. En outre, le maintien en activité des praticiens jusqu’à 65 ans par l’adaptation des postes en fin de carrière permettrait de limiter les tensions dans les disciplines à risque démographique majeur.
— Développer de nouveaux schémas d’organisation susceptibles d’optimiser l’utilisation des ressources médicales dans chaque discipline. C’est un des principes du processus de modernisation de l’AP-HP
Pendant sa transformation, l’AP-HP fait une priorité du soutien et de l’accompagnement de ses professionnels
Souhaitant de nouveau s’adresser aux représentants du personnel de l’AP-HP réunis ce 11 décembre en Comité d’Hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), et invité le 10 décembre à répondre aux questions de l’Association des journalistes de l’Information Sociale (AJIS), Benoît Leclercq, Directeur Général de l’AP-HP, s’est longuement expliqué sur les enjeux et les modalités de mise en œuvre de la réforme engagée. Il a notamment insisté sur l’exigence de forte implication des équipes qu’appelait cette recomposition du paysage hospitalier et confirmé que l’AP-HP était plus encore que jamais mobilisée pour soutenir et accompagner ses équipes.
Pendant sa transformation, l'AP-HP fait une priorité du soutien et de l'accompagnement de ses professionnels
Garantir en Île de France une offre hospitalière adaptée aux besoins de la population et préserver l’égalité de tous à des soins de qualité malgré une démographie médicale préoccupante, est bien tout l’enjeu de la transformation engagée, a confirmé le directeur général de l’AP-HP.
Conforter l’excellence de la médecine, faciliter l’accès aux soins des patients et améliorer les conditions de travail des professionnels dans un soucis d’efficience d’ici 5 ans, Benoit Leclercq n’a pas nié l’ampleur de la tâche mais a confirmé que l’élaboration du plan stratégique serait bien achevée d’ici le printemps 2010.
Soulignant que ce plan de modernisation était avant tout un projet médical décliné dans un second temps au travers des 12 nouveaux groupes hospitaliers, il a rappelé que le plan stratégique comportait également un important volet social et professionnel destiné à accompagner cette transformation d’ensemble.
Maintenir la capacité d’offre de soins mais l’adapter au progrès médical
Rappelant que l’excellence médicale se conjugue avec des modes d’organisation permettant de développer l’accès au progrès médical en s’appuyant sur les meilleures compétences ainsi que sur des plateaux techniques performants, en chirurgie, en imagerie et en biologie, le directeur général a fait un point d’étape sur la préparation du plan stratégique et la constitution des groupes hospitaliers.
Il a souligné que cette nouvelle organisation permettrait de mettre en synergie des hôpitaux géographiquement proches et de rationaliser l’offre et le fonctionnement des services en améliorant l’accueil des patients et les conditions de travail des professionnels. Il a également souhaité rassurer sur le fait que ces redéploiements n’avaient pas pour but de réduire les capacités mais au contraire de les faire mieux converger avec les besoins de la population tout en améliorant la diversité et la complémentarité des spécialités assurées en un même lieu.
Cette recomposition de l’offre médicale au travers des groupes hospitaliers fait actuellement l’objet de discussions pour permettre de trouver l’organisation interne la plus cohérente, à la fois pour les patients et les professionnels. Selon Benoit Leclercq, « les hôpitaux pourront ainsi unir leurs forces dans leur groupe, au lieu de les voir dispersées, pour former des ensembles cohérents permettant de mieux répondre aux besoins de la population des territoires de santé que l’AP-HP dessert ».
Une politique sociale et professionnelle adaptée aux enjeux de modernisation
Parallèlement aux discussions sur l’organisation en groupes hospitaliers, l’AP-HP prépare un programme d’accompagnement social et professionnel dédié à cette transformation, celle-ci devant être portée et relayée par les ressources humaines : « Accompagner et guider le personnel est intrinsèquement lié au projet médical », a souligné Monique Ricomes, directrice des Ressources Humaines de l’AP-HP, en précisant que ce volet social et professionnel, en cours d’élaboration avec les partenaires sociaux, serait adopté avec le plan stratégique. Destiné à accompagner le mieux possible les collaborateurs de l’institution dans un contexte de changement qui exige beaucoup d’efforts et de mobilisation de la part de chacun, les travaux préparatoires menés s’intéressent notamment à l’emploi, au développement des compétences, à la formation initiale, à l’accompagnement individuel des mobilités, à la politique de management et d’encadrement, aux conditions de travail et à la politique sociale (logements, crèches et centres de loisir), a t elle ajouté.
Alors que cette réforme rencontre des inquiétudes, Benoît Leclercq a annoncé qu’il souhaitait que « la prévention des risques professionnels soit traitée comme un enjeu majeur ».
Accompagner et soutenir les professionnels
Le CHSCT réuni ce 11 décembre était dédié à la prévention des risques professionnels du personnel, tant physiques que psychiques. Les troubles psychosociaux se manifestent de diverses manières : stress, mal-être, agressivité, dépression, addiction, fatigue professionnelle. L’AP-HP s’est toujours préoccupée de ces phénomènes avec la plus grande vigilance. Cécile Castagno, chef du Service prévention et santé au travail le confirme : « l’hôpital est un milieu originellement déstabilisant et difficile, qui comporte des risques physiques et psychiques. Il est normal que des changements professionnels comme une nouvelle organisation de service et des mouvements de personnels, accentuent le stress au travail. Il faut donc mettre en place un dispositif adapté à ce contexte de changement et qui accompagne le personnel le mieux possible. »
C’est pourquoi, depuis juillet 2008, un dispositif de signalement des « événements graves » a pour but de mieux connaître l’expression de ce risque et d’en suivre les évolutions. Le plan de prévention proprement dit a d’abord pour ambition de limiter ou éviter les situations à risque pour l’ensemble des personnels en identifiant les facteurs d’organisation produisant du stress et en cherchant à les réduire. L’AP-HP a ensuite pour objectif de sensibiliser largement les acteurs hospitaliers sur le stress, le risque suicidaire et la gestion des situations à risques. Le réseau de prise en charge sera identifié. La diffusion de documents d’information et la formation viendront en appui de ces actions.