Pays de la Loire : bras de fer entre des infirmiers et leur Ordre
PAR SUSIE BOURQUIN - PUBLIÉ LE 13/12/2023
infirmiers.com
2 860 infirmiers et infirmières de la région des Pays de la Loire, du secteur public comme privé, font l’objet de relances de la part de l'Ordre pour leur rappeler leur obligation à s'inscrire auprès de lui. 2100 d'entre eux n'ont pas régularisé leur situation, et certains sont aujourd'hui convoqués devant la police ou la gendarmerie.
Pour l'Ordre National des Infirmiers (ONI), il n'y a pas d'excuse valable. «Les infirmiers concernés ont eu un an et 4 relances minimum pour se mettre en conformité avec la loi» (cf notre encadré plus bas), rappelle-t-il. L'affaire concerne 2100 infirmiers et infirmières de la région des Pays de la Loire, dans le grand ouest français, dont certains ont été convoqués devant la gendarmerie ou la police pour «exercice illégal de la profession». Motif : leur refus d’adhérer à l’Ordre national des infirmiers (ONI), une adhésion pourtant obligatoire depuis 2008.
Lisa (le prénom a été modifié) est infirmière depuis 23 ans au Centre de Santé Mentale Angevin (CESAME). Elle est embauchée en 2000. L'Ordre, alors, n'existe pas encore. «A l'époque, il fallait seulement s'inscrire pour obtenir un numéro Adeli», explique-t-elle. Depuis un décret du 10 juillet 2018, les employeurs doivent transmettre tous les trimestres la liste de leurs infirmiers à l'Ordre, qui peut ainsi vérifier leur inscription ou non. En 2022, Lisa se met à recevoir des courriers de l'Ordre. «On ne s'inscrivait pas parce que ça ne nous apportait rien», souligne-t-elle. «On n'avait pas conscience d'être passés à ce degré de non conformité avec la loi», assure-t-elle.
Les courriers sont «menaçants» selon l'infirmière qui «ne s'affole pas plus que ça» malgré tout. Les sanctions encadrées par l’Article L4314-4 du Code de la santé publique peuvent pourtant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende pour exercice illégal de la profession.
"Drôle d'effet"
Le 30 septembre, un samedi matin, elle voit ainsi «la gendarmerie débarquer chez elle. Ils m'ont remis une convocation et spécifié qu'il y avait une affaire en cours me concernant. Il y a quand même quelques minutes pendant lesquelles on se demande de quoi on est accusé...», confie-t-elle. Si l'enquête suit son cours, Lisa a (contrainte et forcée) adhéré à l'Ordre devant les risques encourus. «J'ai dû apporter la preuve de mon inscription à la gendarmerie», précise-t-elle, soulignant le «drôle d'effet» que lui a fait toute cette affaire : «On vous prend vos empreintes, on vous prend en photo, on vous traite comme un délinquant». La méthode employée ne passe pas, d'autant plus que les conditions de travail sont de plus en plus difficiles. «On a plutôt besoin de soutien», s'emporte l'infirmière. Pour elle, ces méthodes coercitives tendent plutôt à décourager les jeunes. «On est passionnés mais on nous met des bâtons dans les roues» se désole-t-elle.
Sur le fond, l'infirmière ne voit pas l'intérêt de cette inscription et regrette d'avoir à cotiser (35 euros par an pour les salariés et 85 euros pour le libéral) auprès d'une instance «qui ne la représente pas et ne défend pas ses intérêts».
C'est surtout la forme qui ne passe pas pour Mélanie Massé. La secrétaire du groupement départemental Maine et Loire Force Ouvrière Santé Publique voit dans ces convocations «de l'intimidation pure et dure». Au delà d'être «injoignable» (une critique récurrente dans la bouche des infirmiers), l'Ordre «ne s'exprime jamais pour défendre la profession», tempête-t-elle. «Crise du Covid, réforme des retraites, attractivité, problème de recrutements : sur les sujets de fond, on ne l'a pas entendu». Pour elle, «les infirmiers ne veulent pas payer pour exercer» et ce qu'elle voit comme une forme de chantage exercé par l'Ordre est «totalement intolérable». Les syndicats ont d'ailleurs été surpris par la méthode employée. «Avant l'été, il y a eu une vague de mails très menaçants, la pratique est intolérable. C'est déjà difficile de fonctionner et on a cette double peine... On ne comprend pas».
On vous prend vos empreintes, on vous prend en photo, on vous traite comme un délinquant
Ces signalements, «pas une nouveauté» selon l'Ordre
«L’inscription à l’Ordre est obligatoire depuis 2008 en vertu des articles L. 4311-15 et L. 4312-1 du code de la santé publique. Tous les infirmiers habilités à exercer leur profession en France, quel que soit leur mode d'exercice, sont tenus d'être inscrits au tableau de l'Ordre. Toute personne non-inscrite se trouve donc en situation d’exercice illégal de la profession», précise l'Ordre National des Infirmiers dans un courrier adressé à la rédaction.
Si cette obligation est «globalement bien respectée puisque l’on compte actuellement plus de 500 000 infirmiers inscrits au tableau, 130 000 infirmiers ne sont toujours pas inscrits», s'agace l'instance qui commente cette enième affaire avec une certaine lassitude : «Il y a effectivement eu des signalements et ces signalements ne sont pas une nouveauté».
Pour l'Ordre, c'est bien «la sécurité des patients» qui est en jeu. La non-inscription à l'Ordre «ne permet pas le repérage des situations à risque», explique-t-il. «A défaut d’inscription à l’ordre, les fautes et manquements commis par un infirmier ne sont en effet retracés nulle part, échappent au contrôle des pairs et privent les patients des voies de recours ordinales inscrites dans le code de la santé publique». Pour Mélanie Massé, l'argument ne tient pas : «Notre diplôme a été délivré par l'Etat et on est déjà contrôlés par nos établissements. Les infirmiers n'ont pas besoin d'un contrôle supplémentaire». La secrétaire du groupement départemental Maine et Loire Force Ouvrière Santé Publique assure que les pratiques de l'Ordre ont été dénoncées par son syndicat, qui demande ni plus ni moins la suppression de l'instance et l'arrêt immédiat des poursuites contre les infirmiers concernés.
Non-inscription à l’Ordre : gare aux sanctions !
Ce qu'en dit l'Ordre...
Depuis le décret du 10 juillet 2018 relatif à l'établissement des listes nominatives d'infirmiers salariés en vue de leur inscription au tableau, l’employeur public ou privé dépose tous les 3 mois sur un portail sécurisé du Conseil national de l’ordre la liste de tous les infirmiers qu’il emploie à cette date. L’Ordre vérifie alors ceux qui sont inscrits et transmet en retour à l’employeur la liste de ceux qui ne le sont pas : ces derniers sont considérés comme «inscrits provisoirement».
En l’occurrence pour cette région, le Conseil national de l’Ordre a ensuite déterminé une procédure de relance en trois étapes :
- Un premier envoi par mailing le 08/04/2022 à destination de 1 674 infirmiers pour les départements 44 et 85, et de 1186 infirmiers pour les départements du 49, 53 et 72, leur rappelant leur obligation légale d’inscription et leur demandant de régulariser leur situation.
- Un second envoi par mailing en date du 13/10/2022 avec une mise en demeure de transmission des pièces nécessaires au dossier.
- Un dernier envoi en date du 25/11/2022 les informant de leur situation d’exercice illégal de la profession et que des poursuites vont être engagées à leur encontre. (1 185 infirmiers concernés pour le 44-85 et 915 infirmiers concernées pour le 49-53-72)
A la suite de ces envois, nous avons pu constater qu’un grand nombre d’infirmiers n’avait pas régularisé leur situation. Les conseils interdépartementaux réunis en plénière ont voté l’envoi de signalements au Procureur de la République.
Une ultime relance leur a été envoyée en début d’année 2023. Les infirmiers concernés ont donc eu un an et 4 relances minimum pour se mettre en conformité avec la loi. »
Source : L'Ordre National des Infirmiers
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Le procureur de la République de Rennes a demandé à la police et à la gendarmerie, de convoquer 16 infirmiers pour non inscription à l'ordre des infirmiers. Cela caractérise le délit d'exercice illégal de la profession puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.
Début 2022 le conseil interdépartemental de l'ordre des infirmiers des Côtes-d'Armor et d'Ille-et-Vilaine ont signalé à la justice 16 infirmier non inscrits dans leur tableau.
Ce défaut d'inscription caractérise le délit d'exercice illégal de la profession d'infimier, ce qui leur vaut aujourd'hui d'être entendus par la police ou la gendarmerie selon où ils habitent.
Deux ans d'emprisonnement et 30 000 d'amende encourus
Dans un courriel, Philippe Astruc, le procureur de la République explique : "L’alinéa 6 de l’article L 4311-15 du CSP, depuis la loi n°2006-1668 du 21 décembre 2006, prévoit que 'sous réserve des dispositions de l'article L. 4061-1, nul ne peut exercer la profession d'infirmier s'il n'a pas satisfait à l'obligation prévue au premier alinéa et s'il n'est pas inscrit au tableau de l'ordre des infirmiers. Toutefois, l'infirmier n'ayant pas de résidence professionnelle peut être autorisé par le conseil départemental de l'ordre des infirmiers, et pour une durée limitée, renouvelable dans les mêmes conditions, à remplacer un infirmier". Il ajoute "le non-respect des dispositions de l’article L4311-15 du CSP du est réprimé par l’article L4314-4 du CSP".
Concrêtement ces soignants sont passibles de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.
A LIRE: Les deux sœurs qui pratiquaient clandestinement la chirurgie esthétique à Rennes condamnées à 12 et 8 mois de prison avec sursis
Cependant Philippe Astruc précise que ces signalements "conduisent à faire entendre les infirmiers sur ce défaut d’inscription à l’ordre et à leur demander de régulariser leur situation le cas échéant".
Il indique par ailleurs que le conseil interdépartemental des Côtes d'Armor et d'Ille-et-Vilaine "continue de nous adresser régulièrement d'autres signalements d'infirmiers non inscrits à l'ordre".
france3-regions.francetvinfo.fr
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04/04/2024
18 avril 2024 : changement de président pour l’Ordre infirmier
Dans le cadre des élections nationales à l’Ordre des infirmiers, l’actuel président, Patrick Chamboredon, a été battu dans son inter-région. Il a, de ce fait, annoncé le 3 avril, par voie de communiqué de presse, qu’il quitterait ses fonctions à la tête de l’Oni le 18 avril.
espaceinfirmier.fr
Il faut dire qu'à la suite de l'enquête du journal Marianne sur l'ONI et son tempétueux ex-président, c'est un système limite qui s'exerce. La personnalité éruptive du toujours ex, décrite dans l'article et sa formation à un master à Sciences po Paris, pour lui et son trésorier, d'un montant de 20 000 euros chacun est assez édifiant. Les professionnels n'ont pas envie de cotiser pour que les élus se payent des formations que les soignants ne parviennent pas à obtenir ou avec beaucoup de difficultés. Assigner des soignants en justice, alors que les élus au niveau national exercent des pressions, des menaces et se comportent en hiérarques ne manque pas de sel. Il faut en finir avec ces dérives. De là à conseiller à l'ex et au futur de consulter le délicieux ouvrage "code de déontologie" et ses non moins délectables articles inhérents à la fonction...
Après on s'étonne du peu d'appêtance des infirmiers pour cette structure privée, qu'un ancien président de la république avait promis de supprimer avant que de faire le contraire en en renforçant les statuts, via sa ministre de la santé de l'époque, qui avait dit son contraire peu avant évidement.
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L’Ordre des infirmiers dans la tourmente
Quentin Haroche | 19 Avril 2024
jim.fr
Le désormais ancien président de l’Ordre national des infirmiers est accusé de menaces et de trafic d’influence par ses pairs.
L’Ordre national des infirmiers (ONI) a une nouvelle présidente. Ce jeudi, le conseil national de l’ONI s’est en effet réuni pour élire le nouveau bureau national et placé à sa tête Sylvaine Mazière-Tauran pour un mandat de trois ans. Infirmière anesthésiste, membre de la Haute Autorité de Santé (HAS) depuis 2000, secrétaire général de l’ONI depuis 2021, Sylvaine Mazière-Tauran remplace Patrick Chamboredon, qui présidait l’ONI depuis 2017. Un changement d’équipe qui serait somme toute sans histoire si la tenue des élections et plus particulièrement le comportement du désormais ancien président Patrick Chamboredon n’étaient pas dans le viseur de la justice.
Pour saisir les tenants et les aboutissants de cette ténébreuse affaire, il faut d’abord comprendre le système électoral en vigueur à l’ONI. Pour être élu membre du bureau national et éventuellement président, il faut au préalable être élu représentant titulaire de l’une des sept « super régions » prédéterminées par l’ONI. Ces élections intermédiaires, au cours desquelles votent les membres des conseils régionaux de l’Ordre, ont justement eu lieu le 2 avril dernier.
Un candidat mauvais joueur
Dans la super région Auvergne-Rhône-Alpes-PACA-Corse, Patrick Chamboredon n’a obtenu que 12 voix, insuffisant pour être élu représentant titulaire et donc pour briguer un troisième mandat de président de l’ONI. « C’est un électrochoc pour lui, il a été complètement désabusé » commente un élu auvergnat.
Officiellement, Patrick Chamboredon, ancien infirmier à l’AP-HM, s’est montré beau joueur, acceptant sa défaite sans amertume. Mais officieusement, le président de l’ONI n’aurait pas digéré ce désaveu. Deux représentants titulaires de l’ONI affirment avoir, dans les jours suivants l’élection, reçu des appels téléphoniques menaçants, leur demandant de démissionner de leur poste pour laisser la place à Patrick Chamboredon.
A l’autre bout du fil, l’interlocuteur n’a pas hésité à menacer directement la famille des deux élus. Ces derniers ont donc porté plainte pour appels téléphoniques malveillants, menaces et trafic d’influence. Si la plainte a été déposée contre X, pour les deux victimes, il n’y a pas de doute : « l’auteur des appels est un sbire de Patrick Chamboredon ».
On pourrait s’étonner que le respectable président d’un ordre professionnel s’abaisse à de telles pratiques mafieuses. Mais selon le journal Marianne, qui a enquêté sur cette sinistre affaire, ces accusations n’étonnent guère ceux qui connaissent l’infirmier marseillais. « Depuis qu’il dirige le conseil national, il s’est rapidement comporté davantage comme un chef de gang que comme un président » explique un élu local de l’ONI.
« Management de la terreur »
Patrick Chamboredon serait notamment connu pour son tempérament particulièrement volcanique, multipliant les crises de colère, durant lesquelles il lance invectives, menaces et insultes. Quelque peu erratique, il n’hésiterait pas à annuler des rendez-vous à la dernière minute, y compris avec des personnalités politiques importantes. Décrivant un « climat délétère » et un « management de la terreur », ce sont douze de ses assistantes qui ont claqué la porte durant ses sept années de présidence.
Plus grave encore, l’ancien président de l’ONI est accusé par certains de ses collaborateurs de malversations financières. « On n’a plus de transparence quant aux comptes » regrette un membre de l’Ordre. En mars dernier, Patrick Chamboredon et son trésorier ont ainsi été publiquement accusés d’avoir utilisé les fonds de l’ONI pour payer leurs frais de scolarité d’un master à Science Po, s’élevant à 20 000 euros.
L’ancien président de l’ONI est également accusé par ses détracteurs d’avoir utilisé ses prérogatives pour lancer des procédures baillons, trainant ses adversaires au sein de l’ONI devant les chambres disciplinaires pour des prétextes fallacieux afin de les faire taire. « Il lance des procédures contre ceux qu’il considère bruyants et les gens ont peur » résume un membre de l’ONI.
Nouvelle présidente de l’ONI, Sylvaine Mazière-Tauran a désormais la lourde tâche de remettre de l’ordre dans ce fonctionnement dysfonctionnel et de faire oublier le souvenir visiblement peu agréable de l’ère Patrick Chamboredon. Tout cela alors que la profession infirmière se trouve à un tournant, le gouvernement multipliant les promesses d’élargissement de compétences (création d’une consultation infirmière et du statut d’infirmier référent, accès direct, élargissement du droit à la prescription…). On souhaite bon courage à la nouvelle présidente de l’ONI face à ces véritables écuries d’Augias.
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La nouvelle présidente de l'ONI.
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