Pour Eric qui aime bien les références à 88, une interview intéressante, venant de Sud Santé de l'APHM:
SUD version : salut Pascal, tu es infirmier de secteur psychiatrique en Seine St Denis (93), lors de la grande grève des blouses blanches de l’automne-hiver 1988 tu as été l’un des fondateurs et des principaux porte-parole de la Coordination Nationale des Infirmières syndiquées et non syndiquées ( la C.N.I ). Quelle importance a eu ce mouvement, et qu’a-t-il permis d’obtenir ?
Pascal Dias : Le mouvement des « Ni Nonnes, Ni Bonnes, Ni Connes » fut un événement social en France, parmi les plus marquants de la fin du XX eme siècle. Celui, à l’aune duquel on compare l’ampleur des luttes qui ont eu lieu depuis, dans la santé.
Les infirmièr(e)s y ont surtout gagné dans l’affirmation de leur dignité professionnelle et personnelle. Une victoire morale, donc, et aussi des augmentations de salaires certes insuffisantes, mais assez conséquentes… C’est à peu près tout.
SUD version : comment va la profession 20 ans après ?
Pascal : à l’issue du mouvement, une infirmière débutante démarrait à 30 % au-dessus du SMIC. Aujourd’hui une infirmière salariée commence sa carrière… 12 % au dessus du SMIC ! Au fil des réformes libérales et des purges budgétaires, les conditions d’exercice n’ont eu de cesse de se dégrader. Notre reconnaissance sociale, comme celle de tous nos collègues des autres professions hospitalières, est piétinée. Notre parole et nos besoins sont niés. La Loi HPST nous promet le coup de grâce et l’on veut nous imposer la camisole des Ordres professionnels pour mieux nous tenir en laisse !
SUD version : Les raisons de se mobiliser sont donc toujours d’actualité ?
Pascal : Les raisons de se battre me semblent plus évidentes encore qu’il y a 20 ans, et tous les salariés de la santé ensemble, pour être plus forts. En partant des revendications spécifiques de chacun, et des intérêts communs à tous, syndiqués ou non. Sans oublier l’indispensable lien avec les usagers !
Le monde hospitalier a besoin d’une nouvelle révolte, plus forte encore qu’en 1988, pour mettre un coup d’arrêt à cette exploitation insupportable, que les employeurs du public et du privé nous infligent. C’est à cette besogne que les SUD Santé-Sociaux s’attèlent !
SUD version : Pour préparer les futures mobilisations il est toujours bon de revisiter un peu le passé. Une chose nous tarabuste, nous à Marseille ; nous avons à l’AP-HM un syndicat catégoriel C.N.I, qui se présente comme l’héritier naturel de la Coordination Nationale de 1988-89. Or, Irène Leguay et toi, tous les deux à SUD, en étiez les principales figures médiatiques. Cela demande un petit retour sur image.
Pascal : En fait ce mouvement, parce qu’il fut gigantesque et a regroupé les énergies comme jamais dans l’histoire de cette jeune profession féminisée, tout naturellement les différentes sensibilités existant dans la profession ont coexisté dans la Coordination. Une Coordination de lutte, c’est l’auto-organisation : 1 salarié = 1 voix. Toute voix à droit au chapitre !
Irène, moi et bien d’autres, pour une bonne part membre de la CFDT à l’époque (mais dans l’opposition au cours suivi par la confédération, qui nous a exclus pour avoir animé la Coord ), nous incarnions le courant unitaire, agissant pour une jonction claire avec les autres métiers de la santé qui étaient entrés dans l’action, dans la foulée des infirmières (Aides Soignants, ASH, paramédicaux, ouvriers, administratif, etc). Notre crédo : lutter ensemble, pour gagner tous !
SUD version : et les autres ?
Pascal : Un autre courant pensait le mouvement sur un plan exclusivement catégoriel, invoquant la peur d’en perdre la maîtrise dans un vaste fourre tout revendicatif. Dans cette sensibilité on retrouvait aussi une vision étriquée, voire égoïste, des intérêts de la profession et aussi pour certains le refus d’assumer un affrontement majeur avec le pouvoir. Nicole Bénévise et Régine Clément (que l’on retrouve aujourd’hui parmi les dirigeantes de l’Ordre infirmier) étaient les portes-parole de la Coordination qui représentaient cette orientation là.
Je pense que, si le mouvement n’a pas pu aller au bout de son impressionnant potentiel, c’est à cette sensibilité qui a mis le frein, qu’on le doit.
SUD version : sur quels terrains les animateurs du mouvement se sont-ils ensuite investis ?
Pascal : Quand la grève s’est terminée, les « unitaires » ont continué à faire du syndicalisme inter catégoriel et solidaires « Un pour tous ! Tous pour un ! », notamment en créant SUD Santé.
Le courant catégoriel, lui, s’est dispersé dans « l’associatif » professionnel ou dans le syndicat CNI qui n’a pas vraiment d’influence, aujourd’hui, en dehors de votre département. Ce syndicat CNI étant issu d’un choix de plusieurs animateurs de Coordinations Infirmières de quelques villes, qui se sont « débrouillés » pour transformer la Coordination, outil des syndiqués et non syndiqués, en syndicat. En gros, ils sont partis avec la marque déposée.
Au début des années 90 ce syndicat a connu pas mal de crises internes (notamment le départ d’Eric Rabette, « la figure » du campement devant le Ministère en 1991). Cette CNI là, n’incarne donc pas ce que fut le mouvement historique des infirmières. Il ne représente qu’une petite part de l’héritage.
Et l’impasse stratégique de cette mouvance catégorielle est patente. Tous, le syndicat CNI y compris, se retrouvent aujourd’hui «mouillés » dans l’Ordre Infirmier.
SUD version : « l’Ordre », actualité à laquelle se heurtent nos professions, n’était donc pas une revendication du mouvement infirmier ?
Pascal : à aucun moment les infirmières mobilisées en 1988, qui revendiquaient d’être reconnues à la mesure de leur utilité sociale et de leur niveau d’études Bac +3, n’ont revendiqué la création d’un Ordre !
SUD version : quel regard portes-tu sur cet « Ordre » ?
Pascal : Obliger les collègues à « casquer » pour un Ordre dont-elles se contrefichent, et avancer de fait dans cette affaire, main dans la main avec Mme Bachelot et la majorité parlementaire « bleu horizon », ce n’est à mon sens pas du tout un bon service rendu à la profession.
Ce qui ne veut pas dire que là où ils sont, les militant(e)s de la CNI n’ont pas à cœur de défendre sincèrement les collègues qui galèrent dans les services.
Je souhaite, qu’ils prennent leur part de boulot et jouent leur partition dans l’édification, indispensable, d’un puissant mouvement en défense de l’hôpital, des personnels qui y travaillent, de la population qui y est soignée.
SUD version : merci Pascal et à bientôt dans les bagarres à venir.
Comme quoi il n'y a pas qu'un seul regard sur 88.