Délégations de compétences
Après le cardiologue de Mickael Jackson, les gastro-entérologues français veulent jouer avec le propofol…
Une main sur le tube du fibroscope, l’autre sur la poignée de l’endoscope le médecin gastroentérologue, les yeux rivés sur son écran slalome entre les diverticules… Heureusement il se fait aider par l’infirmière d’endoscopie qui, une main sur le ventre du patient, pousse la seringue de propofol de l’autre main… Peut être un anesthésiste pourrait il tenir la pince à biopsie? Quid des voies aériennes?
On nous parle de sécurité en anesthésie, de responsabilités …
On croirait retourner plus de 50 ans en arrière. Pourtant, la morbi-mortalité péri-opératoire semblait s’être nettement ameliorée avec le développement de notre spécialité…
Les primes d’assurance des gastroentérologues risquent de grimper!
A lire, une lettre aux AFAR soumise à ce sujet
L’anesthésie est un acte médical…
L Delaunay1, M Gentilli2, M Sfez3, ML Cittanova3, M Lévy4, A Delbos5, H Le Hétêt6, CM Arnaud7, JM Dumeix8, MP Chariot 9, PG Yavordios10, F Plantet1.
1) Clinique Générale 74000 Annecy, 2) Centre Hospitalier privé St Grégoire 35768 St Grégoire
3) Clinique St Jean de Dieu 75007 Paris, 4) Clinique St Charles 85000 La Roche sur Yon, 5) Medipole Garonne 31100 Toulouse, 6) Polyclinique Sévigné 35510 Cesson Sévigné, 7) Clinique Lafourcade 64100 Bayonne,
CMC St Exupéry 71300 Monceau les Mines, 9) Clinique des Cèdres 31700 Cornebarrieu, 10) Clinique Convert 01000 Bourg en Bresse
Anesthesia is a medical activity …
Mots clefs : anesthésie en endoscopie, délégation d’activité, propofol.
Key words : anesthesia for endoscopic procedure, delegation of activity, propofol.
La société européenne d’anesthésie (ESA) est cosignataire de recommandations sur l’utilisation du propofol par des non anesthésistes pour des endoscopies digestives (1). Récemment la SFAR a été sollicitée par la Haute Autorité de Santé (HAS) pour fournir des recommandations comparables pour divers actes endoscopiques et interventionnels. La justification de telles recommandations serait de répondre au manque de moyens de certaines structures pour pallier un déficit de temps anesthésique. Accessoirement, il faut signaler que la caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) voit là une source potentielle d’économie. On remarquera en préalable qu’aucune de ces entités n’est en mesure de fournir une quelconque donnée statistique fiable quant à ces manques en professionnels pour réaliser ces actes.
La délégation d’activité n’est pas un sujet tabou et il est normal que la SFAR mène une réflexion sur ce sujet. On peut néanmoins s’étonner que ce thème soit abordé sous l’angle du seul défaut d’organisation. Le rôle de notre société savante est, en premier lieu, de déterminer si l’activité d’anesthésie utilisant le propofol en endoscopie digestive relève de la responsabilité d’un médecin anesthésiste ou si elle peut être déléguée sans obérer la qualité des soins. En 2005 la Food and Drugs administration (FDA) a été sollicitée par le collège américain de gastroentérologie pour faire modifier l’équivalent de l’autorisation de mise sur le marché du propofol afin de lever certaine restrictions d’utilisation pour les non anesthésistes (2).
La réponse, fort pertinente, de la FDA par l’intermédiaire du Dr Janet Woodcock, qui n’est pas un médecin anesthésiste, peut être résumée en plusieurs points qui nous semblent fondamentaux. Celle-ci a notamment rappelé que l’endoscopie nécessite une sédation légère à modérée mais profonde à certains moments de la procédure, qu’il y a chevauchement entre les doses nécessaires à une sédation et à une anesthésie générale, que les risques hémodynamiques et respiratoires du propofol peuvent survenir brutalement, et qu’il n’existe pas d’antagoniste du propofol (contrairement à d’autres agents de sédation). Enfin, elle a rappelé qu’une sédation insuffisante génère des douleurs non nécessaires et augmente le risque de perforation, et enfin que ces actes sont souvent effectués sur des patients fragiles.
Au final, la FDA a estimé que le médecin qui administre le propofol doit avoir l’entrainement, le jugement, et l’attention concentrée sur cet acte. Il doit être capable de traiter les complications et ne peut donc faire autre chose simultanément. La FDA conclut donc sur le refus de modifier ces recommandations d’utilisation du propofol. Il faut également noter que dans la réponse une analyse « critique » de la littérature fournie par les gastro-entérologues insiste sur l’absence d’étude méthodologiquement satisfaisante !
Au delà de ce débat, se profile la question du métier d’anesthésiste. La délégation de l’anesthésie à des personnels non réellement formés à l’anesthésie tend à réduire notre compétence à la réalisation d’actes techniques selon des procédures codifiées, parfaitement reproductibles, sans prendre en compte le facteur patient. Dès lors, n’importe quel acte de notre spécialité devient techniquement « délégable » (la sédation aux gastros, l’ALR aux orthopédistes, la péridurale aux gynécologues etc…). Notre compétence vient de la multiplicité des outils que nous maitrisons, de notre capacité à anticiper et analyser les différentes situations cliniques induites par nos gestes, grâce à notre vaste culture médicale acquise au cours d’études longues et d’expériences variées.
La qualité et la richesse de notre formation nous permettent ainsi de déterminer les prises en charge les plus adéquates pour chaque patient. Notre spécialité constitue un tout indissociable comme cela a été rappelé lors des discussions récentes autour de la réanimation.
Lorsque la volonté de déstructurer notre activité tient à des considérations purement organisationnelles ou économiques, il est du ressort de la société savante de remettre la question médicale au cœur du problème. Il n’est pas concevable de dégrader volontairement les procédures anesthésiques au nom de principes relativement éloignés de l’intérêt du patient. Rappelons qu’il a été démontré que la banalisation de certaines procédures et que leur dégradation « organisée » peut conduire à des situations de rupture (3,4). On réserve dans cette nouvelle organisation à l’équipe d’anesthésie, un rôle difficilement tenable en pratique quotidienne, d’ « extincteur » pour des complications purement liées à l’anesthésie, survenant au cours d’une anesthésie réalisée par un non-anesthésiste. Est-ce qu’une sédation au propofol est une anesthésie et si oui pourquoi faire réaliser une anesthésie par du personnel non compétent en la matière ? Nous touchons là au cœur du problème, car il ne s’agit pas de principe d’interdire l’utilisation d’agent anesthésique par d’autres spécialités mais plutôt d’éviter de banaliser certains actes. Il est important de définir acte par acte ce qui semble pertinent de pouvoir déléguer de ce qui nécessite une prise en charge anesthésique. De plus une telle politique de soin accroîtrait bien évidemment les inégalités sociales en matière d’accès au soins entre les établissements disposant d’une équipe anesthésiste et ceux qui n’en disposeraient pas.
En ce qui concerne l’anesthésie pour les procédures endoscopiques digestives, si une anesthésie est nécessaire, il nous semble évident, compte tenu des difficultés et des risques potentiels, que sa réalisation par une équipe d’anesthésie demeure la meilleure garantie de qualité et de sécurité pour le patient.
Références :
1) Dumonceau JM et al. European Society of Gastrointestinal Endoscopy, European Society of Gastroenterology and Endoscopy Nurses and Associates, and the European Society of Anesthesiology Guideline: Non-anesthesiologist administration of propofol for GI endoscopy. Endoscopy2010;42:1–13.
2) Woodcock J. (response to M Cooper). Department of health &. Human services, Food and Drugs Administration. Docket No. FDA-2005-P-0059
3) Vaughan D. The Challenger launch decision: risky technology, culture, and deviance at NASA. Chicago: Chicago University Press, 1996.
4) Amalberti R, Vincent, C, Auroy Y, de Saint Maurice G. Violations and migrations in health care: a framework for understanding and management. Qual. Saf. Health Care 2006;15:66-71.