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Le cytochrome P450
Article mis en ligne le 9 février 2012
dernière modification le 23 avril 2022

par Arnaud Bassez

Le cytochrome P450

Structure_of_lanosterol_14_α-demethylase_(CYP51)

Les cytochromes sont des enzymes présentes dans divers tissus et qui interviennent dans le métabolisme de substances endogènes et exogènes, notamment de nombreux médicaments.

Quelques isoenzymes assurent le métabolisme de la plupart des médicaments

Le cytochrome P450 est un système complexe d’isoenzymes.

Une trentaine de ces isoenzymes ont été identifiées dans l’espèce humaine au niveau du foie et aussi au niveau intestinal.

Quatre isoenzymes sont impliquées dans le métabolisme d’environ 90 % des médicaments couramment utilisés. Ces isoenzymes sont désignées en général par les termes CYP 1A2, CYP 2C9, CYP 2D6 et CYP 3A4.

Les isoenzymes CYP 2B6, 2C8 et 2C19 sont impliquées dans quelques interactions seulement.

De nombreux médicaments inhibent ou induisent l’activité de telle ou telle isoenzyme. Certains médicaments sont métabolisés par plusieurs isoenzymes.

Certains individus sont moins bien équipés que d’autres en enzymes. Ainsi l’isoenzyme CYP 2D6 fait plus ou moins défaut chez environ 5 % de la population générale. Les patients peu pourvus de cette isoenzyme métabolisent plus lentement certains médicaments, qui, de ce fait, ont chez eux plus d’effets (y compris les effets indésirables).

Des évaluations de l’importance relative des différents cytochromes dans le métabolisme d’un médicament sont effectuées in vitro, en particulier pour des médicaments récents. Elles permettent quelques prévisions approximatives et la formulation de quelques mesures de prudence. Mais la diversité humaine et la complexité des mécanismes en jeu font que seul un suivi de pharmacovigilance permet d’apprécier l’importance des conséquences cliniques des interactions médicamenteuses impliquant le cytochrome P450.

Pour chaque isoenzyme du cytochrome P450, connaître les principaux médicaments métabolisés, inducteurs ou inhibiteurs in vitro aide à se repérer. Mais les observations in vitro ne sont pas toujours confirmées en clinique.

Des inducteurs enzymatiques

En présence d’un inducteur enzymatique, les médicaments fortement métabolisés par les systèmes enzymatiques de l’organisme, notamment le cytochrome P450, ont un métabolisme accéléré, et leur demi-vie d’élimination plasmatique diminue.

Les inducteurs enzymatiques ne sont généralement pas spécifiques d’une isoenzyme donnée : lire la fiche P2 “Les inducteurs enzymatiques en bref”.

Des inhibiteurs enzymatiques

En présence d’un inhibiteur enzymatique, les médicaments fortement métabolisés par le système enzymatique inhibé ont un métabolisme diminué, et leur demi-vie d’élimination plasmatique augmente. Les inhibiteurs enzymatiques sont en général spécifiques d’une isoenzyme : par exemple, un inhibiteur de l’isoenzyme CYP 3A4 n’est généralement pas inhibiteur d’une autre isoenzyme ; cependant, certains médicaments sont inhibiteurs de plusieurs isoenzymes du cytochrome P450.

Certains médicaments sont inhibiteurs d’une isoenzyme et néanmoins inducteurs enzymatiques, c’est le cas de certains inhibiteurs de la protéase du HIV.

MESURE À PRENDRE

Il est rarement justifié d’ajouter un médicament qui risque d’augmenter la concentration plasmatique des médicaments déjà en cours. Il vaut mieux choisir des médicaments qui ne sont pas inhibiteurs du cytochrome P450.

Parfois, il est préférable d’arrêter le médicament en cours, et de le remplacer par une alternative non impliquée dans cette interaction médicamenteuse.

Si une association à risque est néanmoins réalisée, une surveillance est justifiée.

Des médicaments métabolisés

Les substances métabolisées par une isoenzyme donnée sont sensibles aux inhibiteurs et aux inducteurs de cette isoenzyme. Les substances métabolisées par la même isoenzyme peuvent aussi entrer en compétition entre elles, ce qui diminue leur élimination.

En fait, on connaît peu d’exemples d’interactions ayant des conséquences cliniques majeures par compétition entre deux médicaments métabolisés par la même isoenzyme CYP du cytochrome P450 : lire les fiches P1A, P1B, P1C, P1D, P1E, P1F et P1G.

Marge d’incertitude

Pour les médicaments récemment mis sur le marché, le dossier pharmacologique contient généralement des études in vitro plus ou moins nombreuses rendant compte de l’affinité pour les diverses isoenzymes du cytochrome P450.

Mais le recul clinique est limité.

Pour les médicaments plus anciens, les études in vitro des relations du médicament avec les isoenzymes du cytochrome P450 n’existent généralement pas. Il existe par contre davantage de recul clinique.

Ajouté à la variabilité de l’équipement enzymatique des individus, tout cela laisse en général une large marge d’incertitude autour de l’ampleur clinique des interactions impliquant le cytochrome P450.

§§§

Inhibiteurs et substrats de l’isoenzyme CYP 3A4 du cytochrome P450

De très nombreux médicaments sont métabolisés par l’isoenzyme CYP 3A4 du cytochrome P450 ou en sont inhibiteurs.

Médicaments inhibiteurs de l’isoenzyme CYP 3A4 du cytochrome P450

Les inhibiteurs de l’isoenzyme CYP 3A4 du cytochrome P450 sont principalement :

  • des médicaments cardiovasculaires : l’amiodarone, la dronédarone, le diltiazem, le vérapamil, la ranolazine, et à un moindre degré la nifédipine ;
  • la plupart des macrolides sauf la spiramycine ;
  • des antifongiques azolés : le fluconazole, l’itraconazole, le kétoconazole, le miconazole, le posaconazole, le voriconazole ;
  • un antiparasitaire : le triclabendazole ;
  • des antirétroviraux : l’atazanavir, le darunavir, la délavirdine, le fosamprénavir, l’indinavir, le nelfinavir, le ritonavir, le tipranavir ;
  • l’association antibiotique dalfopristine + quinupristine ;
  • un antihistaminique H2 : la cimétidine ;
  • des anticancéreux : l’imatinib, le lapatinib, le nilotinib, le pazopanib ;
  • un antiandrogène non stéroïdien : le bicalutamide ;
  • un androgène : le danazol probablement ;
  • des antiémétiques : l’aprépitant, et son précurseur le fosaprépitant ;
  • des antiépileptiques : le stiripentol, le lacosamide ;
  • un antiagrégant plaquettaire : le ticagrélor ;
  • le jus de pamplemousse ;
  • et à un moindre degré : un antidépresseur : la fluoxétine ;
  • etc.

Médicaments métabolisés par l’isoenzyme CYP 3A4 du cytochrome P450

Les médicaments métabolisés par l’isoenzyme CYP 3A4 du cytochrome P450 sont principalement :

  • des anticancéreux : le bortézomib, le cyclophosphamide, le docétaxel, le paclitaxel, l’imatinib, l’erlotinib, le nilotinib, le géfitinib, le lapatinib, le sorafénib, le sunitinib, le dasatinib, le pazopanib, l’irinotécan, la vindésine, la vinorelbine, la vincristine, la vinblastine, la vinflunine, l’étoposide, l’ixabépilone, le temsirolimus, la trabectédine, le tamoxifène, le torémifène, l’exémestane, le bicalutamide, etc. ;
  • des antiarythmiques : l’amiodarone, la dronédarone, le disopyramide, l’hydroquinidine, la quinidine, la mexilétine, la lidocaïne ;
  • des inhibiteurs calciques : le diltiazem, la félodipine, l’isradipine, la lercanidipine, la nifédipine, la nimodipine, le vérapamil et probablement la manidipine ;
  • des antiangoreux : l’ivabradine, la ranolazine ;
  • un sartan : le losartan ;
  • des statines : l’atorvastatine, la simvastatine ;
  • un diurétique : l’éplérénone ;
  • un antihypertenseur inhibiteur de la rénine : l’aliskirène ;
  • des vasodilatateurs : le bosentan, le sitaxentan, le cilostazol ;
  • un anticoagulant : le rivaroxaban ;
  • un antiagrégant plaquettaire : le ticagrélor ;
  • des hypoglycémiants : le répaglinide, la pioglitazone, la sitagliptine, la saxagliptine ;
  • un anorexigène : la sibutramine ;
  • des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) : l’étoricoxib, le parécoxib ;
  • des opioïdes : l’alfentanil, la buprénorphine, le fentanyl, le lopéramide, la méthadone, l’oxycodone, le tramadol, le dextropropoxyphène, etc. ;
  • des médicaments utilisés en gastro-entérologie : l’aprépitant, le cisapride, la dompéridone, et dans une certaine mesure l’oméprazole et les autres inhibiteurs de la pompe à protons, un agoniste des récepteurs de la sérotonine 5-HT4 utilisé dans la constipation : le prucalopride ;
  • les progestatifs ; l’ulipristal ;
  • des immunodépresseurs : la ciclosporine, le tacrolimus, le sirolimus, l’évérolimus ;
  • des antiépileptiques : la carbamazépine, le zonisamide ;
  • des antimigraineux : l’ergotamine, la dihydroergotamine, l’élétriptan, et dans une moindre mesure l’almotriptan ;
  • des médicaments de la maladie d’Alzheimer : le donépézil, la galantamine ;
  • des agonistes dopaminergiques dérivés de l’ergot de seigle : la bromocriptine, le lisuride ;
  • des neuroleptiques : l’aripiprazole, l’halopéridol, le pimozide, le sertindole, la quétiapine ;
  • des benzodiazépines et apparentés : l’alprazolam, le clorazépam, le diazépam, l’estazolam, le flurazépam, le midazolam, le triazolam, le zolpidem, la zopiclone ;
  • un anxiolytique : la buspirone ;
  • des antidépresseurs : l’amitriptyline, l’imipramine ; la venlafaxine ; la mirtazapine ;
  • un antigoutteux : la colchicine ;
  • des bêta-2 stimulants : le salmétérol et l’indacatérol ;
  • des corticoïdes : le budésonide, la dexaméthasone, la fluticasone, la méthylprednisolone, la prednisone ;
  • un rétinoïde : l’alitrétinoïne :
  • des antihistaminiques H1 : la loratadine, la mizolastine, l’ébastine, la rupatadine ;
  • des inhibiteurs de la 5 alpha réductase : le dutastéride et le finastéride ;
  • des médicaments des troubles de l’érection : le sildénafil, le vardénafil, le tadalafil ;
  • un inhibiteur de la recapture de la sérotonine utilisé dans l’éjaculation précoce : la dapoxétine ;
  • des atropiniques : l’oxybutynine, la toltérodine, la solifénacine ;
  • des alphabloquants : l’alfuzosine, la doxasosine, la silodosine, la tamsulosine ;
  • un calcimimétique pour le traitement de l’hyperparathyroïdie secondaire de l’insuffisance rénale : le cinacalcet ;
  • des antirétroviraux : le lopinavir, l’atazanavir, le fosamprénavir, l’indinavir, le saquinavir, le tipranavir, l’éfavirenz, la névirapine, l’étravirine, le maraviroc ; le ritonavir (son effet inhibiteur de l’isoenzyme CYP 3A4 du cytochrome P450 est si intense que cela fait prévoir que l’association avec un autre inhibiteur de cette isoenzyme n’a guère de conséquence perceptible) ;
  • des antibiotiques : la rifabutine, la télithromycine ;
  • des antifongiques azolés : l’itraconazole, le voriconazole, etc. ;
  • un antagoniste de la vasopressine hypernatrémiant : le tolvaptan ;
  • des antiparasitaires : l’halofantrine, l’artéméther, la luméfantrine, le praziquantel, le triclabendazole, la quinine ;
  • etc.

Les inducteurs enzymatiques en bref

Les inducteurs enzymatiques sont des substances qui augmentent l’activité de très nombreux systèmes enzymatiques de l’organisme, dont le cytochrome P450. Ils ne sont généralement pas spécifiques d’une isoenzyme.

Diminution de l’efficacité de médicaments associés

Les médicaments métabolisés par ces enzymes sont sensibles à l’effet inducteur. Il en résulte un risque de moindre efficacité thérapeutique par accélération de leur élimination. À l’inverse, l’arrêt de l’inducteur expose à une surdose, l’élimination du médicament étant ralentie.

Délais variables, à l’introduction et à l’arrêt de l’inducteur. L’induction enzymatique peut mettre 2 à 3 semaines pour se développer totalement. Elle persiste pendant un laps de temps du même ordre quand l’inducteur enzymatique est arrêté. Les conséquences cliniques des interactions médicamenteuses par induction enzymatique surviennent parfois à distance de la modification du traitement.

Des inducteurs non médicamenteux. De très nombreuses substances, en dehors des médicaments, sont des inducteurs enzymatiques, dont le tabac et l’alcool en prise chronique, et aussi des produits industriels dont des insecticides.

Le tabac a pour particularité d’être particulièrement inducteur de l’iso­enzyme CYP 1A2 du cytochrome P450.

Ampleurs variables. L’ampleur des conséquences cliniques de l’induction est fonction de la puissance de l’inducteur, des conséquences cliniques de la diminution de l’activité du médicament soumis à l’effet inducteur quand ce médicament agit sur une pathologie sévère, et de la marge thérapeutique de ce médicament.

MESURE À PRENDRE

Le point-clé de la gestion des inter­actions d’un inducteur enzymatique est d’évaluer les conséquences cliniques d’une perte d’efficacité, pour décider du traitement associé.

L’association est acceptable si les conséquences de l’interaction sont prévisibles et maîtrisables : par l’information du patient, par une surveillance clinique ou biologique, éventuellement avec dosage de la concentration plasmatique du médicament associé, et par l’adaptation des doses. Cette adaptation consiste à augmenter la dose du médicament associé à l’introduction de l’inducteur enzymatique, et à la diminuer à son arrêt.

L’arrêt de l’inducteur enzymatique expose à une surdose du médicament associé. En cas d’association déjà existante, il vaut mieux ne pas interrompre sans surveillance la prise de l’inducteur, mais adapter la dose du médicament en assurant une surveillance clinique, parfois prolongée. Les conséquences cliniques des interactions médicamenteuses par induction enzymatique surviennent parfois à distance de la modification du traitement, selon le délai d’installation et de régression de l’induction.

Il est prudent de ne pas associer un médicament sensible à l’effet inducteur enzymatique si les conséquences cliniques d’une perte d’efficacité sont importantes et qu’il n’y a pas de moyen pratique d’évaluer, prévoir et surveiller l’efficacité du médicament. C’est par exemple le cas des contraceptifs hormonaux.

Risque accru d’effets indésirables de certains médicaments

Sous l’effet d’un inducteur enzymatique, on observe, pour certains médicaments, une augmentation d’un effet indésirable particulier, attribuée à l’augmentation de la formation d’un métabolite toxique.

Une augmentation du risque d’hépatotoxicité de l’isoniazide. Une augmentation d’hépatotoxicité a été observée en cas d’association de l’isoniazide avec un inducteur, notamment la rifampicine.

MESURE À PRENDRE

L’association de l’isoniazide avec de la rifampicine est une association de base pour traiter la tuberculose. La surveillance clinique et bio­logique permet de mettre en évidence une atteinte hépatique débutante, et d’ajuster le traitement.

Une augmentation du risque d’effets indésirables de certains cytotoxiques. Une majoration de la neurotoxicité a été décrit pour le busulfan et l’ifosfamide en association avec la phénytoïne, ainsi que pour l’ifosfamide en association avec le phénobarbital ou la primidone. Le mécanisme semble être une augmentation du métabolisme hépatique, avec formation de métabolites to­xiques.

Une augmentation des réactions d’hypersensibilité (éruptions, hyperéosinophilies) lors de l’association de la procarbazine avec un antiépileptique inducteur enzymatique a été observée. Le mécanisme évoqué est une augmentation du métabolisme de la procarbazine par l’inducteur.

Les principaux inducteurs enzymatiques

Les médicaments inducteurs enzymatiques sont principalement :

  • des antiépileptiques : la carbamazépine, la fosphénytoïne, le phénobarbital, la phénytoïne, la primidone, le rufinamide ;
  • des antibactériens : la rifabutine, la rifampicine ;
  • des antirétroviraux y compris quelques-uns qui ont aussi un effet inhibiteur de certaines isoenzymes du cytochrome P450 : l’éfavirenz, l’étravirine, le lopinavir, le nelfinavir, la névirapine, le ritonavir ;
  • un antidépresseur : le millepertuis ;
  • un vasodilatateur : le bosentan.

Et à un moindre degré :

  • des antiépileptiques : l’oxcarbazépine, l’eslicarbazépine, le lacosamide ;
  • un psychostimulant : le modafinil ;
  • un sédatif : le méprobamate ;
  • un antifongique : la griséofulvine ;
  • etc.

Des antiémétiques, l’aprépitant et son précurseur le fosaprépitant sont des inducteurs modérés de l’isoenzyme CYP 2C9 du cytochrome P450.

Le tabac est un inducteur enzymatique. Il induit notamment l’isoenzyme CYP 1A2 du cytochrome P450. L’alcool en prise chronique est inducteur enzymatique.

En cas d’inflammation chronique, les taux accrus de cytokines inhibent l’expression des enzymes liées au cytochrome P450. Certains anti-inflammatoires sont susceptibles de restaurer l’activité de ces enzymes. C’est le cas du canakinumab et du rilonacept, des anticorps anti-interleukine 1.

Tiré de : Rev Prescrire 2011 ; 31 (338 suppl. interactions médicamenteuses) : 432.

interactions medicamenteuses et cytochrome p450

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