Société Française des Infirmier(e)s Anesthésistes
Slogan du site
Descriptif du site
L’affaire Farçat (ou ce qui conduisit à la création des salles de réveil)
Article mis en ligne le 25 mai 2013
dernière modification le 20 janvier 2020

par Arnaud Bassez

Vingt-trois ans pour que justice soit faite

Par Gaetner Gilles, publié le 14/03/1996 (source lexpress.fr)

1973 : Alain Farçat meurt des suites d’une ablation des amygdales. Il faudra quinze longues années de procès pour qu’enfin, en 1988, deux médecins soient jugés responsables. 1996, dernier acte : le Conseil de l’Europe condamne la France pour la lenteur de sa justice

Visage douloureux, voix forte, débit saccadé, Claude Farçat se bat depuis vingt-trois ans. Très exactement depuis le 25 septembre 1973, jour de la mort de son frère, Alain, des suites d’une opération des amygdales, après soixante-douze jours de coma.

Fils d’un préfet et d’une mère médecin, haut fonctionnaire au ministère de la Santé, Claude Farçat croyait aux valeurs de la république - la justice, le service public...

Il croyait aussi qu’un médecin, comme tout citoyen, pouvait répondre de ses actes devant les tribunaux. Or, pendant quinze ans, Claude Farçat a surtout dû affronter un corps médical - largement soutenu par le conseil de l’ordre - qui refusait d’admettre ses erreurs. Alors, il a multiplié les recours, les appels, les pourvois et les expertises pour qu’enfin la vérité éclate. A savoir que son frère avait bien été victime d’une faute professionnelle de la part de deux praticiens. Il a fini par gagner en 1988, lorsque la cour d’appel d’Amiens - de façon définitive - a estimé que le chirurgien, le Dr Jean Labayle, et l’anesthésiste, Solange Clot, étaient responsables - involontaires - du décès de son frère.

Pourtant, Claude Farçat n’a pas voulu s’arrêter là. A ses yeux, l’instruction avait été anormalement longue. Aussi, dès l’annonce de l’arrêt de la cour d’Amiens, il a saisi le Conseil de l’Europe. Objectif ? Que la France soit condamnée pour violation de la Convention européenne des droits de l’homme, qui stipule que tout justiciable a droit à un "délai raisonnable" pour obtenir une décision d’un tribunal. Il y a quelques semaines, Claude Farçat a gagné une nouvelle bataille : le Conseil de l’Europe a effectivement condamné la France et lui a accordé, ainsi qu’à sa mère, Henriette, 50 000 francs de dommages et intérêts. "Une somme dérisoire", commentent ces derniers, mais qui a mis un terme à cette épuisante bataille judiciaire.

16 juillet 1973 : Alain Farçat, étudiant de 25 ans, entre à la clinique Perronet, à Neuilly-sur-Seine, pour y subir l’ablation des amygdales. Cette opération banale est donc pratiquée par les Drs Labayle et Clot.

Elle débute, sous anesthésie locale, à 8 h 15. Elle dure un quart d’heure. Vers 8 h 35, lorsque Alain Farçat remonte dans sa chambre, il est parfaitement lucide...

Certes, il souffre un peu, mais tout va bien. Pour le soulager, on lui prescrit un calmant. L’infirmière, Anne-Marie Le Goff, descend le chercher à la pharmacie de la clinique. Elle s’absente entre trois et sept minutes. Quand elle revient, le jeune homme ne respire plus. Il est en état de syncope blanche. L’infirmière prend peur.

Elle appelle le Dr Labayle, puis l’anesthésiste. En vain. Ils ont déjà quitté la clinique. Finalement, vers 9 heures, c’est un autre anesthésiste, présent sur les lieux par hasard, qui pratique les premiers secours. Il est trop tard. Alain Farçat a sombré dans un coma profond. Il n’en sortira jamais et mourra le 25 septembre 1973.

Un mois plus tard, la famille Farçat dépose plainte contre X auprès du garde des Sceaux. Le 23 janvier 1974, une information judiciaire est ouverte, pour homicide involontaire. L’expertise est confiée à deux professeurs de médecine. Conclusion : l’organisation de la clinique laisse certes à désirer, mais le décès d’Alain Farçat n’a qu’une cause : la fatalité ! Ecoeurés, ses parents sollicitent une contre-expertise, qui contredit la première : Alain est mort "en raison d’un défaut de surveillance et d’une intervention trop tardive". Sous-entendu : le chirurgien et l’anesthésiste ont commis une faute. Mis en cause également, le directeur médical de la clinique, qui n’est autre que le président du conseil de l’ordre des médecins, le Pr Jean-Louis Lortat-Jacob.

Dès lors, tout s’accélère. Le 13 octobre 1976, le Dr Labayle et Solange Clot sont inculpés d’homicide involontaire. Ainsi que Lortat-Jacob, trois semaines plus tard.
Auditions et confrontations se succèdent. Enfin, pensent les Farçat, notre bon droit va être reconnu. Hélas ! en février 1978, l’instruction est brutalement interrompue en raison de la nomination du magistrat instructeur à la cour d’appel de Paris. Tout est à refaire. La procédure traîne. Jusqu’au procès, en février et mars 1982. 28 avril, le jugement est rendu : les prévenus sont relaxés. Motif : "L’anesthésie et l’intervention ont été pratiquées sans faute et dans les règles de l’art."

Dans les vingt-quatre heures, la famille Farçat et le parquet, scandalisés par cette décision, interjettent appel. Les 18, 20, 21 et 24 janvier 1983, la cour d’appel de Paris examine à nouveau l’affaire. Un mois plus tard, elle confirme la relaxe, sauf pour le Dr Clot, qui se voit dispensé de peine.

Voilà près de dix ans qu’Alain Farçat est décédé. Roger Farçat, son père, épuisé par ce vain combat, meurt de chagrin, le 5 mars 1983. Claude, pour sauvegarder la mémoire de son frère et de son père, saisit la Cour de cassation, qui renvoie le dossier devant la cour d’appel de Versailles. Nouvelle déception : la relaxe est confirmée.

Claude Farçat n’abandonne pas et dépose un second pourvoi devant la Cour de cassation. Le 30 mai 1986, réunie en assemblée plénière, la juridiction suprême casse l’arrêt de la cour de Versailles et désigne la cour d’appel d’Amiens pour rejuger l’affaire. L’espoir renaît. Le 22 janvier 1988, la cour d’appel d’Amiens reconnaît qu’il y a bien eu faute des médecins. Elle écrit noir sur blanc : "Le chirurgien [le Dr Labayle] s’est désintéressé trop vite des suites de son intervention. L’anesthésiste [le Dr Clot] a accepté de laisser son patient dans des conditions dont elle ne pouvait ignorer qu’elles étaient mauvaises." Quant à l’infirmière, "elle a fait montre de négligence et d’incompétence". Aussitôt l’arrêt rendu, Claude Farçat entame une nouvelle démarche : faire condamner la France - par le Conseil de l’Europe - pour inobservation d’un "délai raisonnable" dans cette procédure. Ce qu’il vient d’obtenir.

Aujourd’hui, après ce marathon judiciaire hors du commun, Claude Farçat, qui a finalement eu gain de cause, reconnaît avec lucidité que, "si [sa] famille n’avait pas eu une certaine aisance intellectuelle et financière, jamais elle n’aurait pu faire face". Bref, une histoire exemplaire, qui a eu au moins un mérite : celui d’imposer des règles draconiennes pour les anesthésies, en rendant obligatoires, par exemple, les salles de réveil. En 1973, à la clinique Perronet, la salle de réveil se situait dans un placard à balais.

La circulaire ministérielle n°394 du 3 avril 1974, relative à la sécurité des malades anesthésiés, recommande la création de salles de réveil attenantes aux blocs opératoires.

— -

A lire, le rapport de la Commission européenne des Droits de l’Homme (Deuxième
Chambre), siégeant en chambre du conseil le 2 septembre 1992.