Société Française des Infirmier(e)s Anesthésistes
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La ventilation dans tous ses états
(épisode 1)
Article mis en ligne le 22 novembre 2024
dernière modification le 5 décembre 2024

par Yves Benisty

Merci à Yves pour cet article sur un des piliers de notre condition humaine.
Nous inspirons dès notre naissance et nous expirons à la fin de notre parcours.
Entre les deux nous tentons d’exister.

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« La ventilation dans tous ses états »

Yves Benisty, infirmier anesthésiste

  • Introduction

Je vous propose un feuilleton sur la ventilation, au sens large. La physiologie, la physiopathologie, l’histoire, l’évolution des techniques, les réglages, les techniques d’avenir… Il est probable que vous sachiez déjà l’essentiel. En quelque sorte, je vous propose de partager ma façon de présenter les choses. Ça peut servir de révision pour les bases, ça peut vous permettre d’acquérir quelques notions sur des sujets spécifiques, et ça peut vous donner des idées pour partager les connaissances avec les étudiants. Après « Aller plus haut, la physiologie en altitude » et « La fabuleuse histoire de la ventilation artificielle », voici une saga plus vaste. Si vous avez des idées pour le titre, je suis preneur...

 Au commencement, il n’y avait rien…

Je me suis demandé par où commencer, et j’ai choisi de commencer par le commencement. Au début il n’y avait rien. Le Grand Daron décida de faire plein de choses. Il alluma la lumière, il accrocha des lumignons au plafond, il organisa la distribution des eaux. Puis il se dit qu’il aimerait bien avoir de la compagnie : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. (Genèse 1, 26) ». « Il souffla dans ses narines un souffle de vie (Genèse 2, 7) ».

C’est donc Dieu lui-même en personne qui a inventé la ventilation artificielle. Fort heureusement, il n’a pas déposé de brevet. Et même s’il l’avait fait, ça se passait il y a 5782 ans, c’est passé dans le domaine public.

 Un peu de linguistique

En soufflant ce souffle de vie, Dieu n’a pas simplement fait du bouche-à-nez à Adam. Il l’a « animé ».
La racine latine est le verbe animare, donner la vie. Les substantifs sont anima, le souffle vital, et animus, âme, esprit. La réanimation consiste donc à rendre la vie (en anglais, resuscitation), rendre vivant à nouveau. Ce sens initial, divin ou magique, s’est modifié avec le temps. La réanimation consiste à tenter de suspendre un processus morbide et à maintenir les fonctions vitales. Et nous savons tous que si nos actions peuvent conduire à la mort du patient, aucune réanimation ne redonnera la vie à un mort…

Dans le langage courant, « respirer » consiste à faire entrer et sortir un gaz dans les poumons. En physiologie, le terme « respirer » a un sens plus vaste : respirer, c’est consommer l’oxygène. Il y a une étape ventilatoire (appelée parfois « respiration externe »), puis une étape circulatoire, et enfin une étape cellulaire. La consommation d’oxygène par les tissus produit un déchet, le dioxyde de carbone ou CO 2 , qui va suivre le chemin inverse : il est produit par les tissus, transporté par le sang, et éliminé par la ventilation.

 C’est qui le patron ?

Je peux, quand je suis conscient et éveillé, décider d’inspirer (et décider de faire une apnée). Mais la ventilation n’est pas sous le seul contrôle de la volonté. Sauf quand tout va mal, on respire sans y penser. Mais qui (ou quoi) y pense à ma place ?

Les humains, comme la très grande majorité des mammifères, ont un centre de commande. Chez l’humain, il est situé dans la moelle allongée (c’est le nouveau mot pour désigner le bulbe rachidien). On parle généralement de plusieurs centres de commande, apneustique, pneumotaxique, etc. Par simplification, ils seront désignés au singulier par « centre de commande ». Pas bien loin, il y a le 4e ventricule, rempli de liquide cérébrospinal (c’est le nouveau nom pour désigner le liquide céphalo-rachidien). Ce centre reçoit des informations de nombreux capteurs ou récepteurs, centraux et périphériques. Et il envoie des ordres aux muscles respiratoires.

La ventilation est donc contrôlée par un centre de commande, lui-même sous l’influence de récepteurs chimiques et mécaniques. Il existe des boucles de régulation liées à ces capteurs, et l’ensemble permet l’adaptation de la ventilation pour assurer l’hématose et participer au maintien de l’homéostasie. C’est un fonctionnement original de l’organisme, où des muscles striés à commande volontaire sont aussi sous l’influence d’une structure automatique involontaire.

J’ai écrit « la très grande majorité des mammifères »… Chez les cétacés, la ventilation est entièrement sous le contrôle de la volonté. Pour dormir, ils font une apnée et ils mettent au repos un de leurs encéphales. Eh oui, ça n’est pas si drôle, la vie de dauphin, ou de baleine, ou de cachalot…

 La cheville ouvrière : les muscles respiratoires

Dans la respiration calme de repos, le diaphragme est le muscle inspiratoire principal. En se contractant, il agrandit le thorax. Quand le volume augmente, la pression diminue, et la pression dans les poumons devient inférieure à la pression atmosphérique. L’air (ou le gaz que l’on respire) entre dans les poumons en se déplaçant d’une pression haute (la pression atmosphérique) à une pression basse (la pression intrathoracique).

En résumé, le diaphragme est le piston de la seringue : quand il s’abaisse, l’air pénètre dans le thorax.
Ça ne fonctionne que si le thorax ne s’effondre pas sur lui-même. Pour éviter cela, les muscles intercostaux externes durcissent la paroi thoracique. Les muscles intercostaux externes ne sont pas des muscles accessoires : sans eux, on perd 20 % de son volume courant. Quand ils sont dépassés, on peut observer sur le thorax un creusement entre les côtes, c’est le tirage intercostal.

Les côtes sont attachées en avant (au sternum) et en arrière (au rachis). Le seul mouvement qu’elles peuvent faire est donc une rotation de bas en haut (comme une anse de seau). Cette rotation horizontalise les côtes, agrandit le diamètre antéro-postérieur du thorax et augmente le volume
développé par le « piston de la seringue ».

En plus des muscles qui engendrent la diminution de la pression intrathoracique, un ensemble de petits muscles du cou servent à durcir la filière et ainsi maintenir les voies aériennes ouvertes lors de l’inspiration. Ces muscles sont aussi commandés par le centre de commande, et mis en tension quelques millisecondes avant le diaphragme.

 La transmission des ordres

La transmission des ordres du centre de commande ne se fait ni par Wi-Fi ni par Bluetooth. Ce sont des nerfs qui transmettent l’influx. Le diaphragme reçoit ses influx par le nerf phrénique, nerf spinal (ou rachidien) naissant des segments cervicaux C3 à C5. Les paires de nerfs crâniens X (nerf cardio-pneumo-entérique) et IX (nerf glossopharyngien) jouent également un rôle (motricité du larynx, des muscles du cou, des bronches, etc.).

 Physiopathologie de la ventilation

En dehors des problèmes concernant l’échangeur, des problèmes peuvent survenir, liés soit au centre de commande, soit à la transmission, soit aux muscles. Pour chaque élément, je propose des exemples de perturbations liés à des médicaments, des traumatismes, des maladies aiguës et des maladies
chroniques.

  Problèmes liés au centre de commande

De nombreuses perturbations peuvent concerner le centre de commande. Entre autres :

– liées à un médicament, par exemple les morphiniques ;
– liées à un traumatisme crânien, avec atteinte ou compression indirecte du bulbe ;
– liées à une pathologie aiguë, comme un accident vasculaire du tronc cérébral ;
– liées à une pathologie chronique, apnées du sommeil, syndrome d’Ondine…

Problèmes liés à la transmission de l’influx nerveux

De la même façon, on peut les classer suivant le type de cause :

– liées à un médicament, les curarisants ;
– liées à un traumatisme, section de moelle cervicale haute (les sections basses ne touchant pas le nerf phrénique sont responsables de perturbations mais pas d’apnées) ;
– liées à une maladie chronique, la poliomyélite (atteinte des motoneurones de la corne antérieure de la moelle), les maladies démyélinisantes (sclérose en plaques, syndrome de Guilain-Barré…), les maladies de la plaque motrice (myasthénie).

Problèmes liés aux muscles

Le diaphragme peut être atteint, soit par un traumatisme direct (plaie par arme), soit à la suite d’une pression abdominale très importante (rupture diaphragmatique traumatique, souvent associée à une hernie de l’estomac dans le thorax). Des maladies des muscles perturbent le fonctionnement de tous les muscles, et donc également des muscles respiratoires (myopathie de Duchenne, glycogénose musculaire, myopathies mitochondriales, etc.).

Eh bien voilà, c’est la fin du premier épisode. Le gaz est parvenu dans les alvéoles. Et après ?
Après, c’est une autre histoire…

Yves BENISTY
Infirmier anesthésiste

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