
La ventilation dans tous ses états
Épisode 2
De l’alvéole vers le sang, et du sang vers l’alvéole…
Rappel de l’épisode précédent. La mécanique ventilatoire, pilotée par une commande, a puisé l’air à l’extérieur et l’a conduit dans les alvéoles.
- La diffusion
L’objectif de la ventilation est d’apporter de l’oxygène (O2) et d’éliminer le dioxyde de carbone (CO2). La ventilation alvéolaire a permis d’amener du gaz dans les alvéoles. L’étape suivante, c’est le passage de l’oxygène dans le sang. Pour cela, le gaz doit traverser l’interface (ou membrane) qui sépare l’alvéole du sang, l’interface alvéolo-capillaire.
Pour qu’il y ait diffusion, il faut qu’il y ait différence de concentration : la diffusion se fait du compartiment le plus concentré au compartiment le moins concentré. Le débit de diffusion est proportionnel à la surface d’échange. Les poumons humains comprennent environ trois cents millions d’alvéoles, ce qui représente une surface d’échange de 75 m 2. Plus l’interface est mince, mieux se fait la diffusion. La membrane a une épaisseur d’environ 0,5 µm, soit vingt fois plus fin que du papier à cigarettes.
Vgaz = S/E D(P1-P2)
- V gaz est le débit de diffusion,
- S est la surface (environ 75 m 2),
- E l’épaisseur (0,5 µm),
- D une constante appelée coefficient de diffusion du tissu pour le gaz.
- P1 et P2 sont les pressions partielles des gaz des deux côtés de la membrane.
La constante de diffusion D dépend du tissus traversé (un gaz traverse plus facilement une feuille de papier qu’une feuille d’acier), de la taille de la molécule, et de la solubilité du gaz dans le liquide. Le CO2 étant beaucoup plus soluble dans le sang que l’O2, il diffuse environ vingt fois plus vite que l’O2.
En physiologie, la diffusion fonctionne très bien, et l’oxygène diffuse de l’alvéole vers le capillaire, puisque sa concentration est plus importante dans l’alvéole. Il y a même une bonne marge, puisqu’un globule rouge se charge en oxygène dès le premier tiers de son parcours dans le capillaire jouxtant l’alvéole. Le CO2 sort facilement du capillaire par le même mécanisme : il y a plus de CO2 dans le sang que dans l’alvéole.
Pour qu’il y ait diffusion, il faut qu’il y ait une différence de concentration entre le gaz contenu dans l’alvéole et il faut que l’interface ait une grande surface, une épaisseur faible et soit de bonne qualité.
- La pression partielle
Pour comparer facilement les concentrations dans l’air et dans le sang, on utilise les notions de pression partielle pour le compartiment gazeux (alvéole) et de tension pour le compartiment liquide (sang dans le capillaire). Je propose de définir en quelques mots ces notions.
John Dalton, chimiste et physicien britannique (1766 – 1844), a décrit les mélanges de gaz. Dans un mélange de gaz, chaque gaz exerce la pression qu’il exercerait s’il était seul dans l’enceinte. La somme de ces pressions est égale à la pression totale. Et la pression de chaque gaz, que l’on appelle « pression partielle », est égale à la pression totale multipliée par la concentration du gaz.
Par exemple, l’atmosphère est composée de nombreux gaz dont les principaux sont l’oxygène ou dioxygène, O2, et l’azote ou diazote, N 2. Il y a environ 20,95 % d’oxygène et 78,1 % d’azote. Il y a donc approximativement un cinquième d’O2 (20 %) et quatre cinquièmes de N 2 (80 %).
Au niveau de la mer, la pression atmosphérique vaut 1 013,25 hectopascal (hPa 1). La pression partielle de l’oxygène, notée PpO2, vaut donc 212 hPa, et celle de l’azote, PpN 2, vaut 791 hPa. Il y a donc deux paramètres qui influent sur la pression partielle de l’oxygène de l’air, mais également de tout gaz que l’on respire, la pression atmosphérique et la concentration fractionnaire de l’oxygène.
- Valeurs habituelles en physiologie
Si on inspire de l’air, celui-ci va être filtré, humidifié et réchauffé par le nez et les muqueuses du pharynx. À la fin de la trachée, l’air est à 37°C et il est saturé en eau. La vapeur d’eau contenue dans l’air est un gaz, et comme tous les gaz d’un mélange, il exerce une pression partielle. À 37°C et à saturation, cette pression est environ 63 hPa. Le gaz alvéolaire contient du CO2, et au total, le mélange des différents gaz va entraîner une diminution de la pression partielle de l’oxygène à environ 133 hPa. Le sang parvenant aux capillaires pulmonaires contient de l’oxygène dissout, mais en quantité moindre, environ 53 hPa. Il existe donc un gradient de pression entre l’alvéole et le capillaire, et l’oxygène passera de l’alvéole vers le capillaire.
Concernant le CO2, le sang parvenant aux poumons contient du CO2 dissout, environ 67 hPa. La pression partielle du CO2 dans le gaz alvéolaire étant de 53 hPa, il existe un gradient de pression entre le capillaire et l’alvéole, et le CO2 passe du capillaire vers l’alvéole.
- Facteurs influençant la diffusion de l’oxygène
Comme nous venons de le voir, il existe deux mécanismes conduisant à la baisse de la pression partielle de l’oxygène ou PpO2, la baisse de la pression totale (la pression atmosphérique) ou la baisse de la concentration fractionnaire de l’O2 (FO2). Il est possible que les deux mécanismes soient combinés.
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- Diminution de la pression partielle de l’oxygène
-Baisse de la pression atmosphérique
La pression atmosphérique 2 diminue avec l’altitude. Il s’agit d’une loi assez complexe, mais on obtient une bonne approximation jusqu’à 3 000 m en retirant 11 Pa par mètre d’altitude.
- À 2 362 m, la pression atmosphérique vaut 75 % de la pression au sol (760 hPa).
- À 5 482 m, la pression n’est plus que de 50 % de la pression au sol (507 hPa).
- À 8 373 m, elle vaut un tiers de la pression au sol (338 hPa).
- À 10 295 m, on est à ¼ (253 hPa).
La concentration de l’oxygène ne variant pas avec l’altitude, la pression partielle de l’O2 va être modifiée dans les mêmes proportions, soit 159 hPa à 2 362 m, 106 hPa à 5 482 m, 71 hPa à 8 373 m… On comprend facilement que la montée en altitude va conduire à une diminution de la concentration de l’oxygène dans le sang, que l’on appelle hypoxémie. Et cette hypoxémie conduira à une diminution de la quantité d’oxygène délivrée aux tissus, ou hypoxie.
-Baisse de la concentration fractionnaire de l’oxygène
Plusieurs mécanismes peuvent conduire à la baisse de la concentration fractionnaire de l’oxygène dans le gaz inspiré. Par exemple, le confinement : une ou plusieurs personnes enfermées dans un local étanche vont consommer l’oxygène du local. Il peut s’agir d’un incendie, consommant une partie de l’oxygène d’une pièce. Une fuite de gaz, en se mélangeant à l’air de la pièce, conduira à la baisse de la concentration de l’oxygène. Certains produits chimiques peuvent absorber l’oxygène. Ils sont utilisés dans l’industrie pour le stockage, ou comme agent d’extinction dans les locaux où on ne peut pas utiliser d’eau (serveur informatique).
Pour un patient nécessitant de l’oxygène, par exemple ventilé sous respirateur artificiel avec une concentration de 40 %, une panne de l’alimentation en O2 du respirateur conduira à une baisse de la concentration d’O2 délivrée par celui-ci.
- Augmentation de la pression partielle de l’oxygène
Le principe est le même que pour la diminution, il peut s’agir d’une augmentation de la concentration fractionnaire ou une augmentation de la pression totale (pression atmosphérique), ou des deux mécanismes à la fois.
-Augmentation de la concentration fractionnaire de l’oxygène
Les plongeurs utilisent dans certaines circonstances des mélanges suroxygénés, appelés Nitrox 3.
Pour les patients, il existe différents dispositifs permettant d’augmenter la concentration de l’oxygène dans le gaz que respire le patient, comme les lunettes, les masques, les tentes… Quand on utilise un respirateur artificiel, on peut régler avec précision la concentration d’oxygène délivrée.
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Quand on délivre de l’oxygène pur, on a quasiment multiplié par cinq la pression partielle en oxygène du gaz délivré au patient.
-Augmentation de la pression ambiante
Si on place une personne dans un caisson (ou chambre) hyperbare, on peut augmenter la pression ambiante. Cette technique permet de combiner les deux moyens, augmentation de la concentration et augmentation de la pression ambiante. Par exemple, il est possible de placer le patient dans un caisson et de lui délivrer du gaz ne contenant que de l’oxygène à une pression de 3 040 hPa, soit trois fois la pression atmosphérique. Comparé à une personne respirant l’air du bon dieu, la pression partielle de l’oxygène a été multipliée par 14.
Il existe une façon plus ludique de modifier tant la pression que la concentration fractionnaire de l’oxygène dans le gaz inspiré, c’est la plongée subaquatique. En effet, en plongée, on peut utiliser de l’air (c’est le cas le plus fréquent), mais on peut aussi utiliser un mélange suroxygéné (ou Nitrox), voire des mélanges ternaires (oxygène, azote, hélium). Et plus on plonge profond, plus la pression à laquelle on respire ce gaz est importante. La pression atmosphérique correspond à une hauteur d’eau (douce) de 1 033 cm, soit environ 10 mètres. Donc quand on plonge à 30 mètres, on respire un gaz à une pression quatre fois supérieure à la pression atmosphérique.
Cette augmentation de pression peut avoir des conséquences fâcheuses. Si le plongeur est exposé à une PpO2 de 1,6 bar 4 (1 600 hPa) pendant une heure, il existe un risque de convulsions (toxicité neurologique de l’oxygène, effet Paul Bert). En cas d’exposition à une PpO2 de 0,6 bar (600 hPa) pendant plusieurs heures, des lésions pulmonaires de type inflammatoires peuvent survenir (effet Lorrain Smith). L’azote, que l’on considère habituellement en physiologie comme un gaz inerte, va se stocker en grande quantité dans les tissus (le stockage dépend de la profondeur et du temps passé à cette profondeur). En cas de remontée trop rapide, il peut se produire un relargage trop rapide de l’azote, réalisant un accident de décompression.
- Élimination du dioxyde de carbone
Le dioxyde de carbone ou CO2 sort du sang par diffusion. Mais une fois que le CO2 a diffusé dans l’alvéole, les concentrations s’équilibrent, et la diffusion s’arrête. Pour pouvoir continuer à éliminer du CO2, il faut renouveler le gaz alvéolaire. C’est le rôle de la ventilation. On l’a vu, le gradient de concentration entre le capillaire et l’alvéole est beaucoup plus faible pour le CO2 que pour l’oxygène. Mais comme le CO2 est vingt fois plus diffusible, la diffusion se fait très bien.

- Petit tour d’horizon des différentes unités de pression
Il existe un Système international d’unités (abrégé « SI »), et une unité SI de pression, le pascal (Pa). Cette unité représentant une pression assez faible (une force d’un newton, soit la force de la pesanteur s’exerçant sur une masse de 102 g, sur une surface de 1 m2), on utilise l’hectopascal (1 hPa = 100 Pa) ou le kilopascal (1 kPa = 1 000 Pa). Deux autres multiples du pascal sont souvent utilisés, le bar (100 000 Pa) et le millibar (100 Pa). On constate que le millibar est l’équivalent de l’hectopascal.
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Evangelista Torricelli a décrit en 1644 la pression atmosphérique et a inventé le premier baromètre à colonne de mercure. Pendant longtemps, la pression atmosphérique était exprimée en millimètre de mercure (mmHg) et valait 760 mmHg. En l’honneur de Torricelli, le mmHg est également nommé « torr » (abrégé « Torr »). La pression artérielle ayant longtemps été mesurée avec des colonnes de mercure, on exprime le plus souvent la pression artérielle en mmHg ou en centimètre de mercure (cmHg). Quand le médecin vous annonce que votre pression artérielle est de « 12 8 », ça signifie que la pression systolique est de 120 mmHg et la pression diastolique de 80 mmHg. Pour convertir les mmHg en hPa, on peut multiplier par 4 et diviser par 3. Et inversement pour passer des hPa aux mmHg, on multiplie par 3 et on divise par 4. On a donc l’équivalence : 1 mmHg = 4 hPa.
En ventilation artificielle, mais également en hydrodynamique, on utilise aussi le centimètre d’eau (cmH 2 O). La pression atmosphérique vaut 1 033 cmH 2 O. On constate que cette unité de pression est proche de l’hectopascal (1 hPa = 1,0197 cmH 2 O).
En plongée, quand la profondeur augmente de 10 mètres, la pression augmente d’environ 1 bar (0,98 bar). Donc on peut dire que pour les plongeurs, il y a un bar tous les dix mètres…
Ça vous semble complexe ? Attendez que les anglo-saxons s’en mêlent… Quand vous allez gonfler vos pneus en Angleterre, l’unité utilisée est la livre-force par pouce carré, “pound-force per square inch”, abrégée “PSI”. Pour comparer avec le bar, 1 PSI = 0,068948 bar. Si vous voulez gonfler votre pneu de voiture à 2 bar, il faudra le gonfler à 29 PSI. (1 bar = 14,503774 PSI)
Voilà pour les plus courantes. Mais on utilise aussi le pouce de mercure (“inch of mercury”, inHg, l’atmosphère technique (ATA, 980 hPa), l’atmosphère normale (atm, 1 013,25 hPa) …
Yves BENISTY
Infirmier anesthésiste
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A lire et relire les articles d’Yves BENISTY
- Chef mecano
- Courroie de transmission
- Analogie entre la plongée et l’anesthésie
- La ventilation dans tous ses états épisode 1
- Estimation et mesure de la consommation d’oxygène La ventilation dans tous ses états (épisode 3)
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Les IADE n’existent pas seulement sur le terrain. Ils existent aussi par les écrits. Soyez-en persuadés.
AB
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