Société Française des Infirmier(e)s Anesthésistes
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Estimation et mesure de la consommation d’oxygène
La ventilation dans tous ses états (épisode 3)
Article mis en ligne le 2 décembre 2024
dernière modification le 7 décembre 2024

par Yves Benisty

3e volet des pérégrinations de la ventilation, par notre collègue Yves Benisty.

Estimation et mesure de la consommation d’oxygène

Introduction

La consommation d’oxygène, ou V°O 2 , est un sujet qui intéresse les physiologistes, les
sportifs, les plongeurs… Dans le cadre de l’anesthésie, il est essentiel de pouvoir l’estimer, afin de garantir au patient un apport d’oxygène1 (O2) adapté aux besoins du patient. On l’exprime généralement en millilitre par minute (mL/min). Je présente des formules simples pour estimer la V°O 2 d’une personne en fonction de sa masse corporelle et/ou de sa taille. Je propose deux façons de calculer la V°O 2 d’une personne sous ventilation artificielle avec un respirateur à bas débit de gaz frais.

  • Estimation de la consommation d’oxygène au repos

Il existe plusieurs formules. Le résultat est exprimé en mL/min.
– V°O 2 = 3,5 x P (où P est la masse en kg)
– V°O 2 = 10 x P 3/4 (où P est la masse en kg ; il s’agit de la formule de Brody)
– V°O 2 = 125 x SC (où SC est la surface corporelle en mètre carré)

Je vous propose un exemple : soit une patiente de 1,65 m et 58 kg. Sa V°O 2 estimée au repos est respectivement de 203 mL/min, 210 mL/min, et 204 mL/min selon chacune des formules
(La surface corporelle étant estimée par la formule de Mosteller2, à 1,63 m 2).

La formule de Brody a l’air complexe, mais elle est simple. Il suffit de multiplier le poids (en kg) par lui-même deux fois (on obtient le cube du poids), et d’extraire la racine carrée du résultat, puis la racine carrée du résultat (soit la racine quatrième). Multiplier le résultat par 10 pour obtenir la V°O 2 en mL/min.

Nous avons tous appris que la V°O 2 au repos est voisine de 250 mL/min. En fait, il s’agit d’une valeur correspondant à un patient ayant une surface corporelle de 2 m 2 (soit un patient de 1,88 m et 76 kg). C’est le plus souvent une valeur surévaluée. Cette approximation peut sous-estimer la V°O 2 au repos pour un patient ayant un grand gabarit. Et surtout, la V°O 2 peut considérablement augmenter avec l’effort. En particulier, un patient qui frissonne peut multiplier par quatre sa V°O 2 .

  • Mesurer la V°O 2 lors d’une anesthésie en circuit à bas débit de gaz frais

On peut mesurer la V°O 2 en utilisant le principe de la dilution (méthode de Fick) :
V°O 2 = (CaO 2 – CvO 2 ) x Q°c
où CaO 2 est le contenu artériel en oxygène, CvO 2 est le contenu veineux en oxygène, et Q°c le débit cardiaque. Cette méthode nécessite un prélèvement de sang veineux mêlé et une mesure du débit cardiaque.

 [1]
 [2]

On peut estimer de façon simple la V°O 2 du patient sous ventilation artificielle avec un circuit à bas débit de gaz frais. Voici les abréviations des paramètres qui vont permettre de déterminer la V°O 2.
• DGF : débit de gaz frais
• FsO 2 : concentration d’oxygène du gaz frais fourni par le respirateur
• FiO 2 : concentration fractionnaire de l’oxygène dans le gaz inspiré
• FeO 2 : concentration fractionnaire de l’oxygène dans le gaz expiré
• V M : ventilation minute (en litre par minute)
• V T : volume courant (en mL)
• Fréq : fréquence respiratoire (en cycles par minute)

Je vous propose l’exemple à partir d’une photographie de l’écran d’affichage d’un respirateur.
Pour que les choses soient plus simples, il vaut mieux ne pas utiliser de protoxyde d’azote (et
donc utiliser un mélange O 2 /air, que l’on considérera comme un mélange O 2 /N 2 ).

Photo Yves Benisty

On a DGF = 1 L/min, FsO 2 = 0,61 ou 61 %, FiO 2 = 0,5 ou 50 %, FeO 2 = 0,44 ou 44 %

On peut, pour simplifier, considérer que tout se passe comme si une partie de l’O 2 disparaissait et était remplacée par une part équivalente de dioxyde de carbone (CO 2 ). Or ce CO 2 est piégé par la chaux sodée (on ne tient pas compte de la vapeur d’eau produite). On considère que l’azote (N 2 ) entre et sort sans stockage et sans modification.

Au total, la FiO 2 est le rapport entre la quantité d’O 2 et la quantité totale de gaz restant. On obtient :

  • FiO 2 = ((FsO 2 x DGF) − V°O 2)/(DGF − V°O 2)
    Et donc :
  • V°O 2 = DGF x (FsO 2 − FiO 2 )/(1 − FiO 2 )

Plusieurs précisions :
– cette valeur de la FiO 2 est une valeur à l’état d’équilibre, c’est-à-dire la valeur que l’on obtient au bout d’un bon quart d’heure d’anesthésie stable sans modification des paramètres ; on ne peut pas utiliser cette formule pour déduire la FiO 2 en début d’anesthésie, puisque celle-ci dépend principalement du gaz qui remplit le circuit du respirateur ;
– la production de CO 2 est légèrement inférieure (en volume) à la consommation d’O 2 ;
– je ne tiens pas compte de la présence de vapeur d’eau ;
– il existe toujours des fuites ;
– si on ventile un patient avec un gaz enrichi en oxygène, et donc appauvri en azote, de l’azote va sortir du patient (on peut considérer que le patient est « concentré » en azote à 78 %, puisqu’il respire en permanence de l’air contenant 78 % d’azote) ;
– les calculs se font à partir de valeurs mesurées avec une marge d’incertitude ;
– il est probable qu’il y ait encore d’autres gaz qui se promènent dans le circuit, en particulier des gaz issus de la digestion.

Si on fait les calculs pour le patient de la photo du respirateur, on a :
• DGF = 1 L/min
• FsO 2 = 0,61
• FiO 2 = 0,5
• V°O 2 = DGF x (FsO 2 − FiO 2 )/(1 − FiO 2 ) = 1 x (0,61 – 0,5)/(1 – 0,5) = 0,22, soit 220 mL/min
En fait, ne serait-ce que pour des raisons de précision des valeurs, il s’agit d’une approximation approximative… Considérons qu’il y ait en réalité FsO 2 = 0,62 et FiO 2 = 0,49, la V°O 2 serait de 255 mL/min…

Il existe une autre façon de mesurer la V°O 2 dans cette situation, c’est de comparer la quantité d’O 2 qui entre et qui sort du patient. En toute logique, la différence entre l’O 2 qui entre et l’O 2 qui sort correspond à la consommation d’O 2 du patient, et donc la V°O 2 . Pour le patient considéré, il reçoit chaque minute 6,1 L dont la moitié est de l’oxygène, soit 3,05 L/min d’O 2 .
La FeO 2 est 44 %, et donc il expire (0,44 x 6,1) = 2,684 L/min d’O 2 . La V°O 2 est donc la différence entre ces deux valeurs, soit 366 mL/min.

La grosse différence que l’on observe s’explique par le fait qu’il faudrait ne considérer que la ventilation alvéolaire. Si on considère que le patient a un volume mort V D d’environ 150 mL, la ventilation alvéolaire devient (505 – 150) x 12 = 4 260 mL/min, et le calcul de la V°O 2 donne 256 mL/min. À noter qu’une erreur de 1 % sur la différence entre FiO 2 et FeO 2 aboutit à une différence de 43 mL/min. Mais on peut considérer que les valeurs calculées de la V°O 2 par ces deux méthodes, 220 et 256 mL, sont réalistes.

  • Peut-on réduire le débit de gaz frais ?
Photo Arnaud BASSEZ (Sofia) On voit le BDGF à 0.35l/min, la fio2 affichée à 65% mais délivrée réellement à 42% du fait du bas débit de gaz frais. L’économètre affiché permet de contrôler la consommation en halogénés et en gaz frais. Ceci est bon pour l’économie (on consomme moins) pour l’écologie (on rejette moins dans l’atmosphère, en dépit du SEGA et en attendant la généralisation du deltasorb)

En partant des principes exposés, on peut prévoir la FiO 2 vers laquelle on va tendre au bout de 20 à 30 minutes d’anesthésie stable. Prenons pour exemple un patient de 1,88 m et 76,6 kg, qui aura une surface corporelle de 2 m 2 et une V°O 2 au repos estimée à 250 mL/min. Le DGF est réglé à 1 L/min. Quelle FsO 2 faut-il choisir pour obtenir une FiO 2 à 50 % (0,5) ? En triturant les formules précédentes, on obtient :
• FsO 2 = (FiO 2 x (DGF − V°O 2) + V°O 2)/DGF

Pour notre patient ayant une V°O 2 = 250 mL/min et un DGF de 1 L/min, il faut que la FsO 2 soit 62,5 % pour obtenir une FiO 2 = 50 %.

Photo Arnaud BASSEZ (Sofia) On voit le BDGF à 0.30l/min, la fio2 affichée à 80% mais délivrée réellement à 45% du fait du bas débit de gaz frais. L’économètre affiché permet de contrôler la consommation en halogénés et en gaz frais. Il ne faut pas hésiter à descendre à ces valeurs, sous contrôle d’une fio2% affichée supérieure à celle reçue (La valeur de la fio2% 45 réellement reçue est = à 56.25 % de la fio2 80 % affichée du fait de ce BDGF)

En utilisant les mêmes formules, on s’aperçoit que si on règle le DGF à 0,8 L/min, la FiO 2 baisse à 45 %. Si on veut revenir à une FiO 2 à 50 %, il faut augmenter la FsO 2 à 66 %. Si on garde les valeurs de V°O 2 = 250 mL/min et qu’on conserve comme objectif une FiO 2 à 0,5, il faudra une FsO 2 à 75 % si le DGF est descendu à 0,5 L/min.

Dernier point, imaginons que la V°O 2 du patient se modifie. Vous n’avez pas modifié le DGF et la FsO 2 . Au bout de vingt minutes, vous obtenez une FiO2 à 50 %. Prenons l’exemple de l’augmentation de la V°O2 (patient décurarisé, anesthésie peu profonde, patient qui se réchauffe), que va-t-il se passer ? Eh bien, vous vous en rendrez compte parce que la FiO 2 va diminuer.

Reprenons notre patient ayant une V°O 2 = 250 mL/min, ventilé avec une FsO 2 = 62,5 % et un DGF = 1 L/min. Si sa V°O 2 augmente, par exemple 333 mL/min, la FiO 2 va baisser et se stabiliser à 44 %. Cette baisse est d’autant plus marquée que le DGF est faible. Par exemple, pour un DGF à 0,5 L/min, il faut une FsO 2 à 75 % pour obtenir une FiO 2 à 50 %. Une augmentation de la V°O 2 à 333 mL/min fait baisser la FiO 2 à 25 %.

  • Conclusion et développements possibles

Il est possible, à partir du poids et de la taille du patient, de prévoir une V°O 2 au repos. Il est possible, quand les conditions sont stables (anesthésie stable, chirurgie stable, hémodynamique stable, température corporelle stable) d’estimer la V°O 2 d’un patient ventilé en circuit à bas débit de gaz frais. Il est possible, en estimant la V°O 2 du patient, de régler correctement le DGF et la FsO 2 pour obtenir la FiO 2 souhaitée. Une diminution du DGF entraîne une diminution de la FiO 2. Une augmentation de la V°O 2 entraîne une diminution de la FiO 2.

Bien entendu, plus le DGF est faible, plus la surveillance des gaz délivrés doit être étroite. Donc si vous voulez vérifier ce qui précède, il faut que les conditions de l’anesthésie et de la chirurgie soient stables et sûres, et que vous n’ayez rien d’autre à faire.

Photo Arnaud BASSEZ (Sofia)

Actuellement, plusieurs études montrent l’intérêt de réduire au maximum le DGF pour limiter la consommation des agents volatiles halogénés, et ainsi réduire l’impact environnemental de l’anesthésie.
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Photo Arnaud BASSEZ (Sofia)

Autre piste à développer, à partir de l’analyse d’un écran de respirateur, en conditions stables (anesthésie et chirurgie), on pourrait tenter de faire concorder les valeurs de V°O 2 calculées selon les deux méthodes exposées de façon à déterminer le volume mort.

Photo Arnaud BASSEZ (Sofia) Patient avec un masque laryngé. On voit le BDGF à 0.35l/min, la fio2 affichée à 75% mais délivrée réellement à 50% du fait du bas débit de gaz frais. L’économètre affiché permet de contrôler la consommation en halogénés et en gaz frais. Le mode de ventilation est le mode VCAF (ventilation contrôlée auto flow). Il n’est pas utile de se mettre en mode pression sur les masques laryngés. Le mode auto flow est tout à fait adapté au masque laryngé.

Pour ceux qui n’ont pas encore fait tilt et qui n’ont pas encore écrasé sauvagement leur calculatrice, il faut considérer le fait qu’à la mise en route de la ventilation, le circuit de ventilation peut être plein d’O 2 . L’induction se réalise souvent uniquement avec de l’O 2. Les valeurs de FiO 2 que nous venons de calculer sont des valeurs obtenues au bout d’un certain temps. Il s’agit donc d’une description statique d’un phénomène dynamique. On pourrait s’intéresser à l’aspect dynamique des choses, et tenter de décrire le contenu du circuit en fonction des conditions de départ et du temps. Pour ce faire, il faut définir les conditions de départ, et connaître le volume total du circuit de ventilation (tuyaux compris).

  • Résumé : formules pour estimer la V°O 2 (en mL/min)

 V°O 2 = 3,5 x P (où P est la masse en kg)
 V°O 2 = 10 x P 3/4 (où P est la masse en kg ; il s’agit de la formule de Brody)
 V°O 2 = 125 x SC (où SC est la surface corporelle en mètre carré)
 SC = !× !!, avec SC en m 2 , P en kg et t en mètre

Formules pour mesurer la V°O 2 d’un patient en circuit à bas débit de gaz frais
 V°O 2 = DGF x (FsO 2 − FiO 2 )/(1 − FiO 2 )
 V°O 2 = (FiO 2 – FeO 2 ) x (V T – V D ) x Fréq

Prédire la FiO 2 en fonction de la FsO 2 , du DGF et de la V°O2
 FiO 2 = ((FsO 2 x DGF) − V°O 2 )/(DGF − V°O 2 )

Choisir la FsO 2 en fonction de la cible de FiO 2 , du DGF et de la V°O 2 estimée
 FsO 2 = (FiO 2 x (DGF − V°O 2 ) + V°O 2 )/DGF

En complément, voici une proposition de réglage. Le débit de gaz frais est réglé à 1 L/min, il s’agit de régler le FsO 2 en fonction du poids du patient, avec pour objectif d’obtenir une FiO 2 à 35 %. La V°O 2 étant estimée uniquement à partir du poids du patient, il s’agit d’une approximation à affiner au cours de l’intervention.

• 30 kg → 43 %
• 35 kg → 44 %
• 40 kg → 45 %
• 45 kg → 46 %
• 50 kg → 47 %
• 55 kg → 48 %
• 60 kg → 49 %
• 65 kg → 50 %
• 70 kg → 51 %
• 80 kg → 52 %
• 90 kg → 54 %
• 100 kg → 55 %

Yves BENISTY
Infirmier anesthésiste

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A lire et relire les articles d’Yves BENISTY

Si vous voulez tout comme Yves, écrire un article ou plusieurs et être diffusé sur le site de la SOFIA, envoyez vos écrits.
Les IADE n’existent pas seulement sur le terrain. Ils existent aussi par les écrits. Soyez-en persuadés.

NB  : Petite mise au point concernant les photos accompagnant le propos d’Yves.

Mes photos d’illustration, sont issues de ma pratique quotidienne. Je mets immédiatement le BDGF dès la fixation de la sonde d’intubation et ouvre les halogénés. Le temps que l’équipe chirurgicale soit prête à inciser, la MAC du patient est à 1 dans plus de 95% des cas. Avec un effet quasi nul sur les résistances vasculaires car la montée est progressive. (AB)

AB

F. Véron, , M. Rio , M. Lafuste, Réduction maximun du débit de gaz frais ou ventilation métabolique impacts environnementaux et économiques, SFAR 201900356

 Référence supplémentaires à l’article d’Yves (AB)

Hoenemann C, Mierke. Low-flow, minimal-flow and metabolic-flow anaesthesia Clinical techniques for use with rebreathing systems

où les auteurs démontrent qu’il est possible de descendre sans aucun problème à 0.35l/min de gaz frais. Qu’attendez-vous pour réviser vos habitudes ?

A lire également le travail de fin d’études sur l’influence du débit de gaz frais sur la consommation d’agents halogénés en anesthésie (chapitre Anesthésie-Réanimation). Vous y verrez tout l’intérêt économique et écologique à baisser votre débit de gaz frais.

A lire l’article sur le respirateur en anesthésie et les modes ventilatoires, les filtres antibactériens