Le bureau de la SOFIA propose la lecture d'une lettre à la profession, sur la pratique avancée. Pour justement avancer dans cette pratique.
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Une impasse est le lieu de mes plus belles inspirations »
Milan Kundera
En réponse aux interpellations de nos collègues infirmier(e)s anesthésistes et de nos collaborateurs médicaux en anesthésie, en réanimation, en algologie et en soins d’urgences sur notre publication intitulée : “schéma d’orientation proposé pour la profession IADE”.
Le contexte actuel de mobilisation de notre profession invite chaque membre à se questionner sur son devenir professionnel. Les entités constituantes de notre profession se doivent d’être à l’écoute.
La profession a toujours exprimé que la naissance et le développement d’une société savante, devait se faire sur des analyses et réflexions basées sur des données fiables et reconnues. Elle doit offrir un regard ouvert aux professionnels, leur permettant d’œuvrer dans leur exercice quotidien d’aujourd’hui, mais aussi de demain. Cet exercice doit, également, tenir compte des exigences qui l’entourent. C’est le sens même d’une société savante.
Elle n’a cependant pas vocation à procéder aux arbitrages syndicaux ou politiciens. Elle se doit d’offrir les argumentaires qui devront mener à des décisions raisonnées. C’est pourquoi, nous tenons à préciser, à expliquer et à argumenter les éléments présentés depuis plus de deux ans sur les évolutions proposées du statut IADE.
La profession, par ses représentants divers, s’est accordée pour exprimer le fait que l’IADE ne peut être contraint dans une fonction et une reconnaissance de simple exécutant sur prescription. L’IADE d’aujourd’hui et de demain, est et sera un acteur de santé autonome, dans son exercice au sein de ses quatre domaines de compétences que sont l'anesthésie, la réanimation, l’algologie et les soins d’urgence.
Le référentiel de formation révisé en 2017 le reconnaît en ces termes : «
la finalité de la formation est de former un infirmier anesthésiste, c’est-à-dire un infirmier responsable et autonome, particulièrement compétent dans le domaine de soins en anesthésie, ce domaine comprenant les périodes pré, per et post-interventionnelles, et dans celui des soins d’urgences et de réanimation ».
«
L’étudiant est amené à devenir un praticien autonome, responsable et réflexif, c’est-à- dire un professionnel capable d’analyser toute situation de santé, de prendre des décisions dans les limites de son rôle, et de mener des interventions seules et en collaboration avec le médecin anesthésiste-réanimateur dans le domaine de l’anesthésie, de la réanimation, de l’urgence ».
Le questionnement porté vient interroger les modalités de reconnaissance du statut d’exécutant, à celui de « praticien autonome ». Praticien au sens : personne qui connaît la pratique d’un art, d’une technique. La profession bénéficie d’enseignements universitaires sanctionnés par un diplôme gradé MASTER 2. Il n’est désormais plus question d’évaluer la réalité de cette autonomie mais d’en définir les modalités de reconnaissance.
Plusieurs pistes sont étudiées et avancées :
La première est un exercice en pratique avancée menant au statut d’auxiliaire médical en pratique avancée (AMPA).
Cet exercice correspond simplement à celui de nos collègues infirmiers de pratique avancée (IPA) dans un rôle mixte de clinicien et de praticien pouvant désormais intégrer des expérimentations de premier recours.
Cette organisation est désormais possible dans le domaine des soins d’urgence depuis le décret du 25 octobre 2021.
Ces nouvelles modalités ne reçoivent pas d’opposition des acteurs médicaux et prennent en compte la création récente du DES de médecine d’urgence.
Elles sont plébiscitées par l’ensemble des tutelles (ministère de la santé, DGOS, ministère de l’enseignement, ONI…).
Ainsi, sous couvert du statut AMPA, la profession IADE se verrait reconnaître un exercice en pratique avancée.
Au même titre que les premiers acteurs AMPA reconnus que sont les IPA, les IADE pourraient bénéficier d’une reconnaissance universitaire portant un législatif s’intéressant à des ouvertures sur la prescription, la consultation et le premier recours.
Le classement RNCP (Répertoire National de la Certification Professionnelle) reconnaît déjà ce même niveau de certification entre IADE et IPA.
Le modèle français de pratique avancée mixte, clinicien et praticien, permettrait alors de satisfaire l’ensemble des acteurs pouvant évoluer indifféremment dans les deux dimensions : clinicienne et praticienne.
L’argumentaire provient des recommandations de l’ICN (Conseil international des infirmières) sur la pratique avancée des infirmiers anesthésistes. Le tout développé sur sept chapitres définissant son champ d’action et ses prérogatives. Cela correspond à un exercice clinicien et praticien selon des modalités similaires aux IPA Français.
La SOFIA défend cette approche.
Ces éléments de développement de la pratique avancée (PA) en France, ayant été actés, la SOFIA défend une reconnaissance et une évolution des IADE en PA, avec un exercice comparable à ceux des IPA, notamment des IPA-U (Infirmier de pratique avancée d’urgence), cela dans ses quatre domaines d’exercices et de compétences.
L’objectif étant d’offrir aux IADE un positionnement égal à leurs futurs collègues IPA en les reclassant AMPA selon le même modèle mixte.
Ces orientations étaient rédigées lors d’un communiqué conjoint entre la SOFIA et la SOFRIPA.
Nous émettons cependant des réserves sur l’introduction d’un séquençage de la pratique avancée au profit d’une notion ICS (infirmier clinicien spécialisé) distincte. Bien que celle-ci traduit un exercice en PA, elle fait disparaître tout un pan d’exercice autonome de notre profession, pour n’en reconnaître qu’un exercice au-delà du métier socle, comme simple exécutant et sans accès au premier recours inhérent à la dimension praticienne.
La scission proposée par Mme la députée Chapelier n’aurait fait que créer des niveaux d’exercices induisant des mécanismes d’opposition entre professionnels.
Ce schéma n’a donc pas été retenu ni par la SOFIA ni par nos collègues IPA.
Ce développement semble en contradiction avec le développement international (ICN) et français (IPA), dans lequel l’activité clinicienne ou praticienne va définir le niveau de prérogatives et d'autonomie, là où le premier recours s’attardera à définir les activités dérogatoires, dans le cadre de certaines missions concertées avec le corps médical et les tutelles.
Le principal écueil relevé consiste au fait que ces prérogatives soient refusées à la profession IADE alors qu’elle en a dessiné les contours.
Aucun discours tenu à ce jour, ne retire ce sentiment perçu de dépréciation de notre exercice alors que le consensus pour une évolution au statut AMPA était retenu par l’ensemble des entités IADE.
Le transfert de responsabilité n’est par ailleurs nullement un frein à ces développements car déjà effectif.
Ces éléments ont d’ailleurs été longuement abordés lors des auditions parlementaires et de l’IGAS.
Aucune de ces nouvelles modalités ne remettrait en cause l’exercice collaboratif entre IADE et médicaux de spécialité d’anesthésie, de réanimation et de soins d’urgence.
Elles sont d’ailleurs déjà actées, dans le domaine des soins d’urgence, en discussion dans celui de la réanimation, effectives en médecine générale…, confraternelles à l’étranger et notifiées dans le référentiel de formation des IADE.
Faut-il s’interroger sur la volonté réelle de concertation affichée par le corps médical ?
Monsieur Berland le soulignait déjà dès 2010, dans ses divers rapports initiant ces orientations et nouveaux schémas d’organisation, sans oublier de veiller à en donner l’argumentaire.
En ce qui concerne le « décret de 1994 relatant la pratique de l’anesthésie », sa principale limite est… de dater de 1994, sans avoir reçu d’ajustement et/ou de clarification.
Ce décret semble ne pas tenir compte des évolutions des décrets de compétences de type missions des IADE, du contexte de la pratique avancée introduite en France sans négliger la création du D.E.S de médecine d’Urgence et de médecine Intensive-Réanimation.
La création de la spécialité IADE a permis d’élever le niveau de sécurité en anesthésie. Il serait surprenant qu’une simple reconnaissance de montée en compétences de notre profession vienne contrarier ces observations. Il n’est donc nullement question de remettre en cause la sécurité anesthésique dont les IADE sont les acteurs de prédilection.
Il paraît malgré tout nécessaire, de clarifier la notion de protocole et de responsabilité, de laisser la possibilité de réviser certains schémas organisationnels, afin de laisser place à des orientations qui semblent faire consensus.
A propos du décret de compétences:
Dans le domaine des soins d’urgence, l’apparition du D.E.S. de médecine d’urgence vient modifier les modalités organisationnelles. Au début 2016, le professeur Claude Ecoffey tenait ces propos : "«
[…] L’anesthésie réanimation s’étant recentrée sur les blocs opératoires la médecine péri-opératoire et les réanimations, a perdu sa légitimité sur le terrain pré hospitalier ; la conséquence en est le retrait progressif des IADE […] » Éditorial du 15 janvier 2016 - SFAR.
Malgré ce constat initial, aucun correctif respectant la volonté de notre profession de maintenir ces expertises n’a été apporté, sous couvert de ne pas reconsidérer l’exclusivité du binôme MAR-IADE.
Pourtant, l’arrêté́ du 17 janvier 2017 modifiant l’arrêté du 23 juillet 2012 relatif à la formation conduisant au diplôme d’État d’infirmier anesthésiste (JORF no 0020 du 24 janvier 2017) vient réaffirmer cette notion : «
Anesthésie sous la responsabilité d’un médecin non spécialiste en anesthésie dans le cadre pré-hospitalier ».
Dans le domaine de la réanimation, la création du D.E.S. de médecine Intensive-Réanimation, risque d’induire des problématiques similaires.
Cette situation, dénoncée par la profession se doit d’être aujourd’hui considérée au travers d’échanges sereins réunissant l’ensemble des acteurs. Le CNPIPA a par ailleurs soutenu la place des IADE dans le champ de compétences des soins d’urgence, en invitant la SOFIA aux réunions préparatoires, là où les tutelles opposent un refus catégorique à la demande participative des entités représentatives IADE.
De son côté, la profession ne peut pas non plus faire l’économie d’ajustements, au regard des standards de la pratique avancée.
Il semble perçu comme nécessaire de réviser le système hiérarchique, d’intégrer des outils universitaires et des parcours doctoraux au risque de se voir opposer un refus du fait de certaines exclusivités perçues de façon non légitime ou justifiable.
Le développement du modèle praticien et clinicien IPA, choisi par les tutelles, serait alors parfaitement transposable à l’activité des infirmiers anesthésistes, tout en veillant à satisfaire les recommandations internationales ICN.
L’action de prescription pourrait ainsi relever de l’exercice IADE dans sa prise en charge per et post opératoire immédiat.
Les actions de consultation pourraient alors trouver des développements dans un schéma d’évaluation clinique et faciliter la prise en charge des patients en post opératoire ainsi que dans le cadre des accès veineux, entre autres.
Elles pourraient, également, être envisagées dans l’activité pré-hospitalière où la profession IADE intervient.
Le tout, de manière intégrée dans un parcours patient sécurisé et élaboré de façon collaborative.
Pour ce faire, la communauté médicale se doit de reconnaître l’exercice réel de la profession IADE, et pourrait veiller à l’accompagner plus que d’y apposer son véto.
Une seconde option envisageable serait une orientation vers un statut médical.
Nous pouvons alors évoquer la proposition de profession médicale intermédiaire de Mme la députée Stéphanie Rist.
Inspirée du projet de Mr Berland, la première version oublie cependant de reclasser le statut en livre 1 ce qui la rend peu compréhensible voire jugée comme incohérente.
Mr le Ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran semble, quant à lui, remettre en cause ce classement mais demeure trop évasif pour offrir des projections sereines à quiconque.
Ces imprécisions et ce flou entretenus, ne peuvent donc mener qu’à de simples spéculations qu’il conviendrait de clarifier sereinement, lors de discussions ouvertes.
Il n’en demeure pas moins, l’existence du statut médical à compétence définie.
Y adosser aujourd’hui une échelle de valeur d’opposition supérieure au statut d’AMPA de la part du corps médical pourrait sembler très hasardeux.
Que ce soit un statut en pratique avancée ou un statut médical, les oppositions de certaines entités sont de mises et ne trouvent dans leur fondement qu’un argumentaire désuet.
Faut-il opposer les exercices plus que de les réunir ?
La profession intermédiaire pourrait simplement réunir tous les exercices de pratique avancée dans un statut médical à compétence définie.
La consultation et la prescription seraient non seulement promulguées dans l’intérêt de répondre à une offre de soin grandissante, mais elles seraient également sécurisées et sanctuarisées par le niveau universitaire retenu.
Plus que les professions, ce serait le patient qui serait remis au cœur des soins et des débats.
« Quelle orientation pour les IADE ? »
Ce n’est nullement à la SOFIA d’intimer telle ou telle orientation.
La SOFIA a pour vocation de proposer des éclairages que seule la profession adoptera au travers des différentes instances.
Chaque IADE peut supposer qu’il faut considérer, en exclusivité, son individualité ou penser collectivement pour alors s’exprimer individuellement dans une pensée collective.
Cette notion est importante, car si elle n’est plus respectée, exclut de fait une partie de la profession.
C’est pourquoi le statut AMPA, proposant une PA mixte dans les quatre domaines de compétences, semblait faire consensus, au sein de la profession, car respectait toutes les volontés.
C’est également pourquoi la SOFIA propose d’autres pistes réflexives s’articulant autour d’un statut médical, dont elle ne saurait faire totale abstraction de pensée.
Nous estimons également qu’il faut cesser de stigmatiser la fonction CNRA (Certified Registered Nurse Anesthetist) qui ne définit pas le niveau d’autonomie ou d’indépendance mais le type d’exercice, le niveau de formation…
La conclusion est au final très simple à porter :
Il appartient aux IADE de savoir vers quels développements ils tendent et si ceux-ci sont compatibles avec les besoins ressentis, sans négliger de maîtriser les éléments de compréhension et de concertation possibles.
La profession ne peut s’affranchir de cette discussion et de ces échanges.
Enfin, pour répondre à l’inquiétude de certains médecins sur la notion d’indépendance.
L’indépendance c’est « l’état de quelqu'un, d'un groupe qui juge, décide, etc., en toute impartialité, sans se laisser influencer par ses appartenances politiques, religieuses, par des pressions extérieures ou par ses intérêts propres. » (Dictionnaire Larousse).
L’indépendance offre une réflexion ouverte.
Le 21 novembre 2021
Le bureau de la SOFIA
● Arnaud BASSEZ
● Damien BRAULT
● Rémi CLAIRET
● Annabelle PAYET-DESRUISSEAUX
● Bruno PHILIBIEN