Société Française des Infirmier(e)s Anesthésistes
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L’IADE offshore
Article mis en ligne le 3 décembre 2022
dernière modification le 21 mai 2023

par Arnaud Bassez, Dominique Duriez

Merci à Dominique de nous relater son expérience riche d’une pratique peu conventionnelle, mais où l’IADE a toute sa place.

Cette rubrique est la vôtre. Les experts ce sont vous ! Partagez votre exercice professionnel. Suscitez des vocations. La SOFIA est un relais de transmission.

Dominique l’a bien compris. Cet article le démontre.

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Dominique DURIEZ 57 ANS

  • IDE depuis 1986 IADE 2004
  • Sapeur-pompier volontaire depuis 1981
  • Offshore Médic depuis 2018
Dominique DURIEZ

Les lieux d’exercices principaux des IADE sont le bloc opératoire et le SMUR, la formation, l’encadrement, le rapatriement...

Il en est un qui sort un peu de l’ordinaire, conclusion d’une carrière qui aura permis d’accumuler de multiples expériences qui seront utiles, voire indispensables pour son exercice.

L’IADE OFFSHORE

En offshore l’Infirmier Anesthésiste s’appelle le Medic... Partout sur le globe, les Medics exercent de manière autonome sur les sites les plus divers.

 Forage bateau ou plateforme, exploitation plateforme ou FPSO ((Floating Production Storage and Offloading), production onshore, CMS (centre médico-social) clinique de la compagnie, autres sismique, exploration, chantiers, etc.

QUEL PROFIL ?

Infirmier Anesthésiste DE. Expérimenté si possible, les expériences diverses et variées seront toujours un plus pour votre autonomie. Les IADE Frenchies ont la cote, preuve de notre bon niveau de formation et de pratique.

ACLS et PHTLS peuvent être exigés par certaines sociétés. Expérience militaire ou de sapeur-pompier sont appréciées, beaucoup d’anciens IADE militaires terminent leur carrière Offshore. Il faut savoir être autonome, car un avis médical peut être obtenu par téléphone, mais la présence d’un renfort médical peut prendre plusieurs heures. Savoir faire preuve d’adaptabilité, chaque site de travail est différent, on travaille avec des nationalités, religions, très variées. Il faut être prêt à quitter sa famille plus d’un mois, car le rythme est généralement 4x4.

L’anglais courant, approfondi en vocabulaire médical est indispensable ; néanmoins face à un Texan avec son chewing-gum et son cure-dent, vous vous sentirez comme un Basque face à un ch’ti de la Thiérache profonde (là où on élabore le maroilles)

BOSIET HUET obligatoires, voir l’article très bien fait sur ce site. Avant de vous engager, regardez le film Deep water horizon…. Ça peut vous donner une idée du risque permanent vécu sur ce genre de sites ! Livret maritime, simple formalité pour devenir marin, et il faut donc avoir le pied marin ! J’ai été audité une fois par un médecin anesthésiste venu m’inspecter sur un bateau de forage, le pauvre au bout de 30 minutes à bord a été pris de nausées, j’ai dû le soigner, il n’a pas mangé et a, je pense, passé une des pires journées professionnelles de sa carrière.

De bonnes bases en Informatique, Excel est utilisé à toutes les sauces, Power point est utile pour les présentations…

Visite médicale spécifique assez complète est effectuée dans un centre spécialisé, c’est également assez sélectif.

Être psychologiquement capable d’être isolé, 4 semaines minimum loin de chez soi peut être éprouvant, certes grâce à Internet le lien avec les proches est maintenu. L’ambiance de travail est importante, il est plutôt nécessaire d’être sociable et équilibré…

LES MISSIONS

● Prévention

Pas mal d’actions de prévention et éducation à la santé. Durant la crise COVID qui m’a bloqué au Congo durant 12 semaines, ce rôle était primordial concernant la prophylaxie et les mesures barrières…

● Consultations et soins

En gros c’est une prise en charge de médecine générale, beaucoup de petits soucis orl, digestifs, cutanés.etc. en cas de doute on obtient un avis médical sur téléphone ou mail ou Visio, néanmoins avec l’expérience on apprend à gérer la plupart des situations de façon autonome…ça peut choquer , mais n’oubliez pas qu’on est seul et a l’autre bout du monde .

● EVASAN

Si le cas ne peut être géré à bord ou sur le site, l’évacuation sanitaire est décidée. Et en générale c’est un IADE qui s’y colle…en hélico ou en bateau ou en AR.

● FORMATION

Vous formerez des secouristes équipiers qui vous assisteront dans les missions d’urgence. Une expérience de formateur est bien utile.

● URGENCES

En gros tout peut arriver…. Mieux vaut y être préparé.
En cas de situation NOVI vous êtes à la fois le DSM, l’IADE tri, vous assurez les premiers soins, la liaison avec le médecin et le PCA, les bilans…les exercices de moyenne et grande ampleur réguliers vous y préparent, encore une fois ce genre d’expérience pro avant de partir vous sera bien utile !

● GESTION DE LA PHARMACIE, MATÉRIOVIGILANCE

En général, nous sommes relativement bien dotés en matériel de secours et de soins. Charge à nous d’en prendre soin et d’assurer leur disponibilité. L’approvisionnement en médicaments est parfois délicat dans certains pays…

● CONTRÔLE HACCP (Hazard analysis critical control point) ET CATERING (restauration)

Dans nos missions, le contrôle des denrées alimentaires à chaque livraison est de notre responsabilité. Des inspections des lieux d’hébergements et du catering sont programmées régulièrement. La connaissance des règles HACCP permet une surveillance de ce process dans les cuisines, des réserves à la cuisson jusqu’aux poubelles. Sur certains sites on contrôle également la qualité de l’eau.

● EXERCICES

Que ce soit onshore ou offshore, des exercices imposés ou de notre initiative ont lieu très régulièrement. Bien plus souvent que les vraies interventions car il y a énormément de prévention. Mais quand ça pète…mieux vaut y être préparé !

  • LES AVANTAGES

Ils sont nombreux, je vais les énoncer sans ordre de priorité à mes yeux.

Valorisation du statut d’IADE, il est clair que notre rôle est reconnu et nous sommes relativement respectés. Notre avis est sollicité régulièrement. Par délégation du médecin du travail, nous faisons passer la visite d’aptitude en espace confiné par exemple. Sur les sites, il n’est pas écrit de faire le 15, mais « Call the Medic ».

Autonomie, c’est le maitre mot, un Medic qui appellerait le médecin à tout bout de champ ne garderait pas son poste longtemps. Il faut savoir où se situe notre limite de compétences tout en sachant que notre responsabilité sera toujours engagée. On n’est pas médecins, même si notre rôle va bien au-delà de notre formation initiale, si j’ai un doute = il n’y a pas de doute, donc avis médical.

Aventure : il y a moyen de travailler partout sur la planète et dans les lieux les plus variés. Un bateau, c’est toujours en mer, avec des différences en fonction de la localisation. On travaille et on côtoie des gens de toutes cultures, tous horizons. Chaque nouvelle mission est un défi, actuellement au Congo, j’ai fait auparavant un bref passage en Ouganda, des pays incroyables et un contact passionnant avec les populations. Côté dépaysement, on est loin du club Med… Néanmoins, nos conditions de vie sont toujours assurées avec un minimum de confort. Moi qui aime les langues, j’ai appris le monokituba, dérivé congolais du lingala, et je fais autant que possible mes consultations dans la langue locale. À mes séjours en France, il m’arrive de croiser des Congolais avec qui j’échange dans leur langue… Effet garanti !

Financier : il est indéniable, en travaillant en offshore, on augmente son pouvoir d’achat… Le taux journalier net d’un Medic est autour de 300 euros par jour (pouvant aller pour certaines sociétés jusqu’à 400) soit 9000 euros environ par mois travaillé. Cela 6 mois par an. Ce qui revient à 4 500 € avec 6 mois de congés ! Ce montant est net d’impôt, car au-delà de 180 jours en offshore, vous n’êtes pas imposable. Néanmoins, vous ne cotisez pas à la retraite (sauf pour certaines sociétés), et il faut prévoir une assurance santé, car pas de sécu non plus ! Durant un mois, vous êtes nourri, logé, blanchi… Au retour, ça fait bizarre d’aller remplir un caddie !

Planning a l’année : c’est plutôt pratique, travaillant en rotations de 4 semaines, votre planning est établi pour l’année… sauf en cas de pandémie, le covid m’a bloqué 12 semaines au Congo, soit 84 jours au lieu de 28…

6 mois de vacances par an, c’est un côté très appréciable. Avec toujours un petit déchirement de quitter les siens quand le mois de vacances se termine…

  • LES INCONVÉNIENTS

Partir 4 semaines ... Ou plus ! Grâce à Internet et au téléphone illimité vers les siens, on garde le contact, mais il faut que la famille soit préparée à se passer de vous pendant cette durée. Personnellement je ne pense pas que le papa poule que je suis aurait bien vécu de quitter mes enfants jeunes aussi longtemps. En cas de motif grave, votre société vous rapatriera au plus vite, mais il faut se préparer psychologiquement à cet éloignement. Mon premier collègue (qu’on appelle un back to back) qui inaugurait comme moi ce genre de travail, n’a pas poursuivi, car sa fille avait mal vécu l’absence de son papa, il a eu la sagesse de privilégier sa famille.

On est isolé, travailler en autonomie présente des avantages, mais aussi un paquet d’inconvénients. Responsabilité accrue, et le travail n’étant pas intense, vous pouvez rapidement vous ennuyer, ça aussi, il faut l’anticiper. Rédiger cet article a par exemple occupé pas mal de mon temps libre. Et vous êtes là pour faire face à toutes les éventualités, convulsions, douleur thoracique, AVC… Mais… Si c’est vous le patient…dommage.

LE RISQUE OMNIPRÉSENT : je l’ai écrit en majuscules, car c’est le leitmotiv sur site pétrolier, pour vous en faire une idée de ce qui peut se passer, regardez le film Deepwater Horizon… Ça calme. Le risque incendie, les gaz (comme l’H2S-sulfure d’hydrogène- omniprésent), le paludisme ou les serpents à terre…. Et le risque politique, car certains pays ne sont pas des exemples de stabilité. J’ai décliné une proposition de travail sur un chantier photovoltaïque au Mali. Il faut savoir, et cela s’est déjà produit, qu’en cas de prise d’otages, la dernière personne qui sera libérée…c’est le Medic ! Hé oui, au moins, il peut soigner de l’intérieur.

Siège éjectable. Notre poste peut sauter à tout moment, au moindre faux pas, erreur de diagnostic, erreur de diplomatie, car il ne faut pas oublier que nous travaillons essentiellement avec des gens d’une autre culture, les contrats sont renouvelés ou pas et d’un mois sur l’autre vous vous retrouvez sans travail…et pas de chômage puisque vous n’y cotisez pas ! Néanmoins, si vous êtes un bon élément et avez fait vos preuves, votre société vous recasera peut-être dans un autre pays.

Autre culture, c’est un avantage et un inconvénient, d’un côté l’expérience vous fait rencontrer des gens que vous n’auriez jamais côtoyé en temps ordinaire. Néanmoins, vous pouvez vous sentir en très grande minorité dans certaines situations, ça aussi, il faut y être préparé. C’est également parfois compliqué en situation de soin.

Langue étrangère : la langue de travail, c’est l’anglais, parfois mis à toutes les sauces, le Texan qui mâchouille, le Balinais qui chante, l’irlandais qui parle vite au téléphone, l’Écossais qui parle… Écossais ! Bref, il faut que l’oreille s’habitue. Et parfois, on est bien content d’échanger en français à bord… Retrouver un « pays » et parler en français, même s’il dit chocolatine, ce n’est pas grave.
Pour l’anecdote, un nouveau venu vient me consulter sur un bateau de forage, on échange en anglais quelques politesses et il commence à m’expliquer son problème, et cherchant un mot, il dit à part « merde comment on dit  » ...Je lui dis « tu es français ?  » Et on éclate de rire. Depuis 3 ans, je suis dans un pays francophone, à terre, et j’apprécie quand même ce confort linguistique. Néanmoins, j’entretiens mon niveau d’anglais, car je ne connais pas ma prochaine mission !

LASSITUDE. Comme je l’ai évoqué plus haut, le travail n’est pas intense, l’essentiel est de savoir réagir efficacement face a toute situation, on s’y prépare. On a pas mal de missions annexes qui ne monopolisent pas 100 % de notre temps. Mais cela peut devenir répétitif, si on ne s’intéresse pas aux opérations des autres corps de métier. Il faut s’occuper l’esprit, ne pas tomber dans la routine, ce qui n’est pas évident. J’admets qu’on puisse se lasser, certains collègues ont d’ailleurs fait le choix de reprendre une vie normale en France. Il est également important de garder ses acquis professionnels, alors pendant les repos, quelques vacations d’anesthésie ou gardes pompiers permettent de ne pas se reposer sur ses lauriers.

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J’espère avoir su vous partager un peu de mon expérience, je pense faire cela jusqu’à la retraite, les enfants sont grands et 5 ans, ça passera vite. Offshore Medic est pour moi l’aboutissement de toutes mes expériences professionnelles, un statut valorisant professionnellement et financièrement, une expérience humainement enrichissante.

Un IADE ça peut transpirer !

Dominique DURIEZ


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