Société Française des Infirmier(e)s Anesthésistes
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Spécialité « urgentiste » : le coup de gueule d’un IADE
Article mis en ligne le 29 mai 2015
dernière modification le 1er juin 2015

par Arnaud Bassez

Cet article a été publié sur le site infirmiers.com, d’où il est extrait.

L’auteur, pose un vrai débat face à l’émergence d’une catégorie de professionnels infirmiers qui pensent que travailler dans un endroit donne toute compétence, et que l’on peut s’affranchir d’une formation qualifiante qui est celle des infirmiers anesthésistes diplômés d’Etat.

La réponse est simple : Si vous voulez faire de l’urgence, avec toutes les compétences qui vous manquent, faites la formation IADE !

Ce n’est pas ici, que l’on prétendra le contraire.

AB


Spécialité « urgentiste » : le coup de gueule d’un IADE

29.05.15

« Protégez moi de mes amis, mes ennemis je m’en charge » C’est bien ce que les Infirmiers Anesthésistes Diplômés d’État (IADE) peuvent penser à la lecture de la prose de certains de leurs collègues ces derniers temps. Les infirmiers des urgences veulent une spécialité « d’urgentistes ». Cela fait bondir les IADE, voici pourquoi.

Remettre les pendules à l’heure, c’est ce que fait Vincent Elmer, infirmier anesthésiste diplômé d’Etat…

Le sujet est délicat. Il n’existe que quatre voies de spécialisations reconnues dans la profession infirmière : cadre, puériculture, bloc opératoire et anesthésie réanimation. Chaque spécialité a ses prérogatives et, parfois, ses exclusivités. Des éléments importants, puisqu’ils ont défini des choix de vie et d’identités infirmières. Lorsqu’il faut discuter des champs de compétences de chacun, on a vite fait de tout mettre sur l’ego. Ce dernier est toujours plus grand chez l’autre. On trouve des Cow-boys ici, des spécialistes du Sudoku là. J’ai connu des IADE qui portaient très bien le chapeau et je vois des IDE en formation très forts en Sudoku. Essayons donc de laisser les histoires de chasse de côté, pour nous focaliser sur les faits. A l’occasion d’un mémoire sur les ISP et leurs missions une collègue a un rêve. Elle rêve de la reconnaissance d’une spécialisation en urgences pré-hospitalières.

  • INSUFL, l’association qui pompe l’air aux IADE

On peut comprendre qu’une infirmière souhaite une spécialisation en urgences pré-hospitalières. Elle n’a peut être pas toutes les informations et elle peut se tromper. Mais lorsqu’une association se créée avec les objectifs que nous allons détailler, il est normal que les IADE se sentent particulièrement visés. Cette association demande "la reconnaissance et la valorisation des compétences de l’infirmier aux urgences et au SMUR". Une demande qu’on peut finalement légitimer pour l’ensemble de la profession. Les infirmiers qui exercent en maison de retraite n’ont pas moins de mérite que ceux qui travaillent en dermatologie ou aux urgences. Un coup d’épée dans l’eau donc, pour une spécificité des urgences. Travailler aux urgences et en SMUR, c’est unique… comme tous les autres domaines du soin. A ce compte, nous allons retrouver des infirmiers cardiologistes, gastro-entérologistes, dermatologistes… « Améliorer les pratiques » et organiser des manifestations visant à regrouper les IDE acteurs de l’urgence », c’est généralement le but de toute association qui veut mettre en avant les raisons de son existence.

En revanche, "obtenir la création d’un diplôme d’infirmier urgentiste à l’instar des IADE, IBODE et IPDE" est une demande à la fois irréaliste et inacceptable. Irréaliste, parce que s’il faut créer une spécialisation en soins d’urgence, il faut envisager des spécialisations diplômantes pour toute la filière de soins. Encore une fois, travailler en ophtalmologie, ne nécessite pas d’en avoir une spécialité. Pour tous les lieux d’exercice, il existe des formations complémentaires, des congrès et de la formation continue. Diviser notre profession pour chaque discipline, revient à tomber dans les travers de la médecine qui morcelle le corps pour ne s’occuper que d’un organe. Or, la richesse de la profession d’infirmier, c’est précisément qu’il peut avoir une vision plus holistique du patient ainsi que de son entourage. C’est valable pour les IDE en soins généraux et pour les IDE qui se sont spécialisés. Et tous les IDE spécialisés ont obtenu en premier lieu leur DE… Vous me répondrez que l’infirmier qui pourrait bénéficier de cette spécialisation lui aussi garderait cette spécificité. Oui, sauf qu’il existe déjà cet infirmier et qu’il est IADE.

  • L’IADE est l’infirmier urgentiste que les IDE veulent devenir

Pour bien comprendre la ras le bol des IADE, il faut remonter encore un peu plus loin que la création de cette association qui n’est qu’un symptôme de plus pour un syndrome urgentiste qui couve depuis longtemps. En 2008 sort une publication de la SFMU qui souhaite établir un référentiel de compétences pour l’infirmier en médecine d’urgence. Dans ce référentiel on trouve notamment ces éléments : "La prise en charge d’un patient dans le cadre d’un transport primaire extra ou intra-hospitalier en collaboration avec un médecin SMUR." et "la prise en charge du patient dans le cadre du Transfert Infirmier Inter-Hospitalier". Or, ces deux missions sont dévolues prioritairement aux IADE comme le précise le Code de la Santé Publique : "Les transports sanitaires mentionnés à l’article R. 4311-10 (les transports SMUR -NDR) sont réalisés en priorité par l’infirmier ou l’infirmière anesthésiste diplômé d’État."

Référentiel de compétences SFMU- infirmier(e) en médecine d’urgence

Si le CSP le précise, ce n’est pas pour le plaisir de rajouter une ligne au texte. Il y a des raisons que nous détaillerons plus tard. Puis, dans la partie concernant les connaissances et savoirs, le référentiel SFMU ajoute :

"Un infirmier en Médecine d’Urgence connaît et comprend"

  • "[…] Les médicaments de l’anesthésie – analgésie – sédation :"
  • "- Anesthésiques généraux : Propofol, Etomidate, Midazolam, Thiopental, Kétamine..."
  • "- Anesthésiques locaux : Lidocaïne…"
  • "- Curares : Suxaméthonium iodure, Atracurium…"
    [...]

Vous noterez qu’il ne s’agit pas de se limiter aux stricts médicaments de l’intubation en séquence rapide qu’on nomme par pudeur « intubation d’urgence » (alors qu’il s’agit d’une pure et simple anesthésie en séquence rapide), mais d’être exhaustif sur toutes ces molécules. Trois petits points sont ajoutés à la fin de chaque liste. Ils sont au mieux signes d’un manque de rigueur, au pire une ouverture vers toutes les molécules imaginables. Ces exemples sont spécifiques car on entre très clairement dans le champ de compétence des IADE. Que cela concerne les anesthésies générales ou locales. Mais de façon plus générale, tous les aspects qui concernent l’urgence et le pré-hospitalier font également l’objet d’un enseignement complet dans le cursus de l’IADE. Il s’agit d’un module exhaustif dont on trouve une copie conforme dans un référentiel de compétences. Ce n’est pas nouveau, cela existe depuis que les IADE sont entrés en fonction. Les socles de connaissance sont donc très clairs, les recommandations qui sont faites par les sociétés savantes sont donc parfaitement logiques lorsqu’elles pointent l’IADE comme intervenant idéal pour l’urgence. Mais la théorie ne suffit pas. Pour être compétent, encore faut-il pratiquer et utiliser ces connaissances au quotidien. C’est ici qu’on peut commencer à parler d’iceberg.

  • L’urgence vitale, partie émergée de l’iceberg du soin d’urgence

Car l’argument très souvent utilisé pour contester la présence des IADE est celui – paradoxalement - du versant anesthésique de son activité. Un IADE est enfermé dans un bloc, formé principalement à l’anesthésie, pourquoi « gaspiller » ses ressources sur une activité secondaire comme l’urgence ? Les réponses sont multiples et s’imposent très vite lorsqu’un infirmier se lance dans la formation d’IADE. Tout d’abord, très souvent, l’IADE n’exerce pas dans un bloc, mais dans des blocs. Plusieurs spécialités, plusieurs services. Une versatilité qui l’amène à être polyvalent et à s’adapter en permanence. Et si vous en trouverez aussi fossilisés sur un respirateur en neurochirurgie, l’image du champion de Sudoku ou de l’expert en café reste une caricature. Que fait un infirmier lorsqu’il pratique l’anesthésie ? Il met en œuvre quotidiennement des techniques et des médicaments qui sont utilisés de façon plus ponctuelle en SMUR et dans les situations d’urgence. Il en a donc une connaissance théorique, mais surtout une très grande pratique. Revoici notre iceberg. L’urgence vraie, celle qui nécessite d’utiliser des techniques de réanimation n’est, heureusement pour nos concitoyens, que la partie la plus faible de l’activité d’urgence. C’est la partie émergée, mais celle qui est toujours mise en avant sur le plan médiatique. Elle est spectaculaire.

Mais chaque soignant sait bien que l’autre partie, celle qui est la plus grande et cachée, représente la majorité de son travail. Pourquoi faudrait-il donc un IADE alors que ses compétences seraient sous utilisées ? Tout simplement parce que sur la faible part des urgences vitales nécessitant des soins de réanimation, il faut être entraîné régulièrement. L’obligation de moyens s’appliquant également au personnel, pourquoi proposer un intervenant qui ne pratique que rarement les gestes de réanimation ?

L’IADE les utilise au quotidien. De fait, il devient le partenaire idéal du médecin. Si ce dernier est anesthésiste, le duo est classique. Ces deux partenaires se connaissent bien. Si c’est un médecin urgentiste, il dispose d’un technicien entraîné et formé dès lors qu’il décide d’engager des manœuvres de réanimation. Car ne nous leurrons pas. Si les termes politiquement corrects de sédation et d’analgésie sont souvent utilisés, il cachent une technique d’anesthésie pure et simple. De plus, la collaboration entre un IADE et un médecin urgentiste est entérinée par l’arrêté du 23 juillet 2012 qui précise les conditions de formation des IADE notamment le domaine de compétence 6 :

  • "Coordonner ses actions avec les intervenants et former des professionnels dans le cadre de l’anesthésie réanimation, de l’urgence intra et extrahospitalière et de la prise en charge de la douleur ;"
  • "recueillir et sélectionner les informations utiles aux différents interlocuteurs pour la conduite de l’anesthésie, de la réanimation, de la prise en charge pré hospitalière et de la prise en charge de la douleur du patient ;"
  • "analyser les informations et observations transmises par les différents professionnels pour adapter la conduite de l’anesthésie, de la réanimation, de la prise en charge pré hospitalière et de la prise en charge de la douleur du patient ;"
  • "superviser et coordonner les actions mises en œuvre par les équipes en SSPI, réanimation et SMUR ; "
  • "apporter une expertise technique et transmettre des savoirs pour la mise en œuvre des gestes et techniques de réanimation, de sédation et d’analgésie en intra et extrahospitalier ;"
  • "superviser et évaluer en situation professionnelle les compétences d’une personne dans le champ de l’anesthésie-réanimation, de la prise en charge préhospitalière, de la prise en charge de la douleur ;"
  • "coordonner ses actions avec l’ensemble des professionnels intervenant en site d’anesthésie, de réanimation et en intervention d’urgence extrahospitalière ; – élaborer des documents d’information et de formation sur les activités des services d’anesthésie-réanimation, urgences, prise en charge de la douleur."

Les freins à la présence des IADE sont structurels et politiques. Il n’est pas forcément évident d’injecter ce type de personnel dans des structures qui ne dépendent pas d’un département d’anesthésie. Il faut donc une véritable volonté de politique de qualité et non de simples exercices comptables discutables pour faire bénéficier à la population des meilleurs soins. Lorsque l’IADE est de garde, il se déplace sur tout l’hôpital et c’est possible y compris aux urgences. Expliquer sans cesse à nos collaborateurs l’intérêt de l’IADE en pré-hospitalier et dans le contexte de l’urgence devient fatiguant. Attaqués de plus en plus souvent, poussés vers la sortie, nous sommes obligés de créer des documents pour justifier de l’évidence. Le SNIA a produit un texte très complet à ce sujet.

Place de l’IADE en service mobile d’urgence et réanimation. Perspectives d’avenir. (Bruno Huet)
Arrêté du 23 septembre 2014 relatif à la création d’une annexe « Supplément au diplôme » pour les formations paramédicales d’infirmier, d’ergothérapeute, de manipulateur d’électroradiologie médicale, de pédicure-podologue et d’infirmier anesthésiste
  • Pourtant, l’infirmier peut aussi évoluer aux urgences

Si les écrits sur l’évolution des infirmiers aux urgences sont de plus en plus nombreux c’est qu’il y a sans doute un réel besoin d’évoluer et de progresser. Ce besoin est bien légitime et il y a de nombreux compartiments qui sont à explorer. L’Infirmier d’Accueil et d’Orientation est un axe très important à développer. Par son examen initial, cet infirmier est un véritable régulateur de flux aux urgences. Pourtant, sa formation aussi intéressante soit-elle n’est pas valorisée. Ni par une reconnaissance statutaire, ni par une reconnaissance pécuniaire. Pourtant cette fonction pourrait faire l’objet de pratiques avancées si elle était adossée à certains actes « routiniers » pour augmenter l’efficacité et encore mieux épauler les médecins. Les exemples sont nombreux :

  • prescription d’examens complémentaires en fonction des signes cliniques (radiographies, bilans sanguins, ECG). Chacun sait qu’en fonction des pathologies suspectées des recommandations standardisent les examens complémentaires à réaliser. Les infirmiers mettent souvent en route ces procédures afin que les médecins puissent rapidement bénéficier de ces examens pour poser leur diagnostic ;
  • l’ECG justement doit faire l’objet d’une formation supplémentaire afin d’être capable de le décrire et d’alerter rapidement en cas de détection d’anomalie évidente. Il ne s’agit pas d’en réaliser l’interprétation, mais de mieux le comprendre et donc l’utiliser ;
  • prescription d’antalgiques dans le cadre de la prise en charge de la douleur ;
  • réalisation des plâtres et contentions. La gypsothérapie fait partie des formations qui doivent être intégrées et valorisées ;
  • réalisation des actes de chirurgie simple après examen médical (sutures cutanées). Lorsque la plaie est simple et que le médecin a déterminé qu’elle pouvait être prise en charge par un infirmier au même titre qu’un pansement, cela permet de dégager du temps médical ;
  • réalisation des vaccins et injections systématisées sur leur propre pouvoir prescription (vaccin et sérum anti tétanique).

Quel serait le juste milieu à trouver entre un infirmier de pratique avancée et un assistant médical à l’américaine (physician assistant) ? La seconde option semble la plus intéressante et peut effectivement ouvrir vers une nouvelle spécialité. Cependant, elle ne peut être envisagée que si elle est économiquement viable. Pour cela, il faut qu’elle apporte à la fois une plus value sur le plan économique et qualitatif. En un mot et même s’il n’est pas agréable dans la bouche d’un soignant, il faut être « rentable ». Si les infirmiers des urgences souhaitent une spécialisation, il est utopique de penser la créer en décrivant simplement le contenu de la formation des infirmiers anesthésistes concernant l’urgence pré hospitalière. Cela ne peut relever que du rêve.

  • J’ai (aussi) fait un rêve

Dans une tribune, Séverine Galleau, infirmière sapeur pompier rêve d’une formation de spécialité d’infirmière urgentiste pré-hospitalière. Elle peut se réveiller car la formation existe.

Ainsi, « faire évoluer la fonction IDE dans un domaine pauvre en formations spécifiques, le pré-hospitalier » comme elle le déclare est facile. Le module de formation spécifique pré-hospitalière se trouve dans le cursus IADE. Avec un stage obligatoire en SMUR. Ce qui soulève d’ailleurs une question annexe amusante, puisque un étudiant infirmier anesthésiste devrait être systématiquement encadré par un IADE dans le cadre de cet exercice. "Dégager une disponibilité de médecin quand sa présence n’est pas indispensable." C’est également ce que font les IADE au bloc à minima après la réalisation de l’induction. C’est également ce qu’ils font en pré-hospitalier lorsque la décision d’une réanimation est prise. Ce faisant, les médecins peuvent se concentrer sur la stratégie thérapeutique et la préparation de l’aval de la prise en charge. Elle déclare également :

"Mise à part les médecins smuristes et les médecins sapeurs-pompiers, aucun autre professionnel n’est spécifiquement formé." Il est très dommage que Séverine, ainsi que bien d’autres collègues semble-t-il, ne réalise pas que cette formation existe. Comme Séverine, je fais aussi un rêve :

  • je rêve que les infirmiers ne soient pas trompés par des formations non validantes ;
  • je rêve que les infirmiers réalisent que la spécialisation en urgences pré-hospitalières existe ;
  • je rêve que les autres intervenants réalisent que l’IADE est le meilleur partenaire de l’urgence pré-hospitalières ;
  • je rêve que tous ces gens collaborent pour une meilleure prise en charge du patient.

Mais je rêve. Le gestionnaire lui, voudra aller au moins distant. Au moins cher. Ainsi, après avoir raboté une aspérité dans un secteur il ira en raboter une autre. Ne tombez pas dans ce piège.

Pour terminer, rappelez vous que tous les IADE ont été IDE. C’est justement parce qu’ils ne l’oublient pas qu’ils réalisent en suivant la formation tout ce qu’ils ont raté avant. Même en étant impliqués, même en cherchant à se former. C’est donc sur les mots d’un étudiant infirmier anesthésiste réagissant à la prose de Séverine que je vous laisse méditer. Et par pitié, si vous souhaitez en discuter, faites le en apportant des éléments constructifs sans ramener des problèmes d’ego sur le devant de la scène.

"ISP pendant 2 ans et infirmier aux urgences Je suis désormais en école d’IADE. Un constat : la formation d’ISP c’est nous apprendre à repérer des signes cliniques qui vont nous permettre d’aller appliquer un protocole. Sauf qu’en débutant ma formation d’IADE, je me suis rendu compte du manque qu’il y avait afin de comprendre ce qui se passait sur intervention. Alors oui des ISP peuvent faire du pré-hospitalier sur des protocoles précis, après je suis totalement contre le faire de faire une formation d’IDE en urgences pré-hospitalière. Franchement si vous voulez ce type de spécialisation passez le concours et faites IADE."

Vincent ELMER Infirmier anesthésiste diplômé d’État