Histoire de l’anesthésie
§§§§
On prétend souvent que la première anesthésie de l’Histoire fut délivrée par Dieu à Adam.
21 - Alors l’Éternel Dieu fit tomber un profond sommeil sur l’homme, qui s’endormit ; il prit une de ses côtes, et referma la chair à sa place.
Ne voulant pas entrer dans des considérations philosophico socio religieuses, je me borne ici à une Histoire scientifique, rigoureuse, documentée et qui a fait l’objet de publication.
Ce qui ne fut pas le cas de Dieu qui n’avait pas eu l’idée d’inventer l’imprimerie, sans doute fatigué par ses 6 jours de travail intensif...
§§§§
Hérodote (484 - 432 av JC)
Les histoires de l’historien grec Hérodote d’halicarnasse furent écrites entre 430 et 424 avant JC. Les écrits relatent la guerre entre grecs et Perses (499-479 av JC.). Ces livres seront divisés en neuf exemplaires, nommés les Muses. Hérodote relate comment les Scythes, peuplade de la mer noire dans le sud de la Russie, induisaient un état stuporeux en inhalant des vapeurs de chanvre. Les inhalations de vapeurs afin de verser dans un état de transe, étaient également pratiquées par la pythie de Delphes, gardienne du temple d’Apollon.
Le chanvre était cultivé et brûlé comme de l’encens dans des chambres closes. L’effet de l’intoxication était l’oubli. D’après ces bases, il peut être établit que le chanvre fut le premier anesthésique par inhalation. Ce procédé ne fut jamais exploité dans l’antiquité pour la chirurgie
Autre technique supposée supprimer la douleur : les « chirurgiens » assyriens asphyxiaient à moitié les enfants en les étranglant, avant de les circoncire. Le geste est plus barbare que l’opération elle-même.
§§§§
Le terme anesthésie fut donné par le professeur d’anatomie et de physiologie américain, Oliver Wendell Holmes dans une lettre adressée à William Morton, le pionner de l’utilisation de l’ether. Il désignait sous ce terme un état d’inconscience induit par une inhalation de gaz pour diminuer la douleur de l’acte chirurgical.
SUPPRIMER LA DOULEUR AVANT TOUT.
Cependant si le terme provient des racines grecques an (priver) et aïsthêsis (sensibilité), les grecs eux-mêmes utilisaient parfois ce terme, notamment un médecin herboriste, pharmacien et chirurgien nommé Pedanius Discoride. Son ouvrage en 5 volumes, De Materia Medica, fut le précurseur de la pharmacopée moderne.
Discoride (40 - 90 av JC)
Discoride voyagea avec l’armée de l’empereur romain Néron. Il décrivit comment du vin issu de la mandragore pouvait induire une anesthésie, dans le sens absence de sensation, des soldats allant subir une chirurgie ou une cautérisation de leur blessure. Toutefois il ne faut pas voir là, une anesthésie générale comme on l’entend de nos jours. Discoride avait néanmoins anticipé les recommandations linguistiques de Holmes de quelques 1800 années.
Le concept d’une totale insensibilité pour les actes chirurgicaux n’était pas original pour autant. Pourtant, pendant plus de mille ans, ce que nous pratiquons de nos jours semblait irréalisable, utopique et pour tout dire : impossible.
L’utilisation simple ou combinée d’agents comme l’alcool éthylique, la mandragore, le cannabis et l’opium pour diminuer la sensibilité était pratiquée dans l’antiquité.
Aulus Cornelius Celsus (25 av JC- 50 Ap JC)
Celse est un naturaliste encyclopédiste qui exerce la médecine à Rome au cours du Ier siècle. Il se démarque de ses contemporains cultivés en écrivant non pas en langue grecque mais en latin. C’est lui qui inaugure la terminologie scientifique latine.
Il écrivit les 6 volumes d’une encyclopédie dont De Medicina libri octo, une compilation de toutes les connaissances de la médecine depuis Hippocrate.
Celse distingue :
- les maladies générales et les maladies locales
– les maladies curables par les remèdes, les urgences médicales et les affections chroniques dont le traitement peut être différé.
– les maladies curables par l’art manuel (la chirurgie) il y distingue les maladies d’organes et les maladies osseuses du ressort de l’orthopédiste.
Dans De Medicina, Celse décrivit d’anodines pilules qui soulagent la douleur en induisant le sommeil. Ces pilules étaient préparées en brassant du pavot et en le mélangeant à du vin. Il donna des conseils pour l’utiliser à bon escient.
Celse observa que le jus d’opium avait été utilisé depuis la guerre de Troie, pour calmer la mauvaise humeur et procurer des rêves agréables, et que cette décoction était restée populaire et appréciée. Cependant, « les médecins doivent l’utiliser avec circonspection, car les rêves peuvent être doux, mais plus ils le sont, plus rude sera le réveil ».
À L’Est de l’Eden
Hua Tuo (110 - 207)
Médecin chinois à la fin de la dynastie des Han, il a la réputation de pratiquer la chirurgie sous anesthésie générale en utilisant « une poudre narcotique mousseuse ». Malheureusement les détails sont sommaires. Rien ne définit les constituants de la poudre : chanvre bouillit avec du vin, fleurs de datura ou rhododendron, racine d’aconit ou de jasmin, ou bien un cocktail de tous ? Il semblerait toutefois qu’il s’agisse de la mandragore.
Guan Yu est une figure légendaire en Chine. Il était général au royaume de Shu durant la période des Trois Royaumes (de 222 à 265 AD). Lors d’ une bataille dans la Cité de Fan, une flèche empoisonnée blessa Guan Yu au bras droit. Le chirurgien le plus fameux de l’époque, Hua To, incisa le bras droit de Guan Yu, et enleva le muscle et l’os empoisonnés. Le temps de l’opération, Gun Yu continua à boire et à jouer aux échecs. Il parlait et riait comme si de rien n’était. Son attitude lui valut l’admiration et le respect de tous les soldats et des autres généraux qui avaient assisté à l’opération. Ils étaient stupéfaits par la façon dont Guan Yu était capable de se maîtriser face à une telle douleur. Mais le fait est qu’avant l’opération, Hua To avait pu appliquer à son bras une anesthésie d’actualité du nom de mandragore. Hua Tuo est probablement le premier à avoir inventé et utilisé l’anesthésie.
Avant l’époque de Hua Tuo, afin d’empêcher le patient de se tortiller et s’agiter lors d’une opération douloureuse, avant la chirurgie les docteurs attachaient le patient par les mains et les pieds. Où ils lui frappaient la tête ou lui prélevaient du sang pour le rendre inconscient.
Pour réduire la douleur du patient durant l’opération, Hua Tuo essaya tout pour trouver une herbe anesthésique. Un jour, alors qu’il était dans la montagne en train de cueillir des herbes, il rencontra un bûcheron qui était gravement blessé. Le bûcheron attrapa deux feuilles, les écrasa et les pressa contre sa blessure. Peu après, la douleur disparut. Hua Tuo était agréablement surpris à la vue de l’herbe magique, et s’empressa de demander le nom de l’herbe au bûcheron. Les feuilles appartenaient à une plante du nom de mandragore. Après de nombreux essais et d’erreurs, Huao Tuo produisit finalement une fameuse anesthésie appelée " Ma Fei San ".
Dans le seizième chapitre d’un célèbre roman chinois Tous les hommes sont frères (ou La légende de Shui Hu), un conseiller du Mont Liang [1] nommé Wu Yong, mit un certain narcotique dans la boisson et réussit à voler le trésor à Yang Zhi, qui était chargé de remettre le trésor. Après que Yang Zhi et ses gardes eurent bu le vin, le quinzième d’entre eux ne put rien faire d’autre que de regarder impuissant les sept hommes s’emparer du trésor sous leurs yeux. Ils ne purent se lever, ni bouger, ni même dire un mot. En fait, Wu Yong avait mélangé l’anesthésie au vin. L’anesthésie chinoise qu’il utilisa était appelée " men han". " Men "signifie " s’évanouir "et " han " signifie " homme adulte" en chinois, aussi " men han " signifie t-il le produit qui fait s’évanouir l’adulte. Le principale ingrédient actif en était la mandragore.
Le Guide illustré des Plantes expliquait, “la Mandragore vit dans les prairies sauvages de la province de Guangxi. Les bandits prennent souvent sa tige, la mâchent, et la mettent dans la nourriture pour rendre leur victime inconsciente et voler leurs biens. La drogue menhan doit avoir été faite avec ce genre d’herbe. "
Il y a de nombreuses herbes chinoise qui peuvent être utilisées comme anesthésique. On compte à part la mandragore plus de quarante autres sortes d’herbes. Ce n’est que depuis le siècle dernier que la médecine occidentale a commencé à utiliser le dimethylether comme anesthésique dans les opérations. Mais la médecine chinoise inventa et utilisait déjà l’anesthésique du temps de Hua Tuo, voici quelques deux mille ans.
Note :
[1] Mont Liang : Le repaire d’un gang de Bandit-héros dans Tous les Hommes Sont Frères une œuvre de fiction très populaire par Shi Nai-An.
source :clearharmony.net
Galien (130 – 200 après JC)
la douleur est inutile à ceux qui souffrent.
Galien de Pergame était un médecin grec. Il fut un écrivain fécond, si bien que la tradition des humeurs qu’il symbolise, survécut grâce à la traduction en arabe de ses écrits. Il passa quatre ans comme médecin à l’école des gladiateurs, où sa place lui donna une grande expérience des traumatismes médicaux. Il conseilla l’utilisation de la mandragore et de l’alcool avant toute chirurgie. Cette association pouvait soulager la douleur. Mais il n’induisit pas l’insensibilité, sauf à employer de fortes doses, risquant par la même, de tuer le patient.
Galien découvrit que les veines et les artères sont remplies de sang et pas d’air comme on le croyait communément. Malheureusement Galien n’eut pas la notion de la circulation sanguine. Il croyait que le sang pouvait stagner aux extrémités.
Galien et ses successeurs pensaient que la santé et la maladie était la résultante d’une balance des humeurs. Les quatre humeurs du corps étaient le sang, le flegme (les mucosités), la bile noire (fluide hypothétique, supposée comme étant la cause de la mélancolie et de l’hypocondrie et venant de la rate), et la bile jaune.
Ces humeurs dérivaient des 4 éléments grecs : la terre, l’air, le feu et l’eau. Galien était persuadé que l’on disposait de plusieurs niveaux de ces quatre humeurs en une infinité variété de combinaisons. La nature humaine est infiniment diverse, et est contrôlé par ces quatre éléments.
Quand le sang était l’humeur dominante et avait besoin de contrôle, le médecin devait rétablir une balance équilibrée en supprimant un excès de sang ou en administrant des émétisants ou des diurétiques.
Dans le système de Galien, le volume de sang était basé d’après l’âge, la constitution, les saisons, le temps, le lieu et le souffle du patient.
La saignée tua bon nombre de personnes qui auraient pu survivre sans ce recours hasardeux.
D’autres méthodes pour soulager la douleur furent tentées avec un succès limité. Des méthodes non pharmacologiques en parallèle à la saignée, incluant l’eau froide, la glace, la « distraction » par irritation d’une aiguille, la compression carotidienne et nerveuse, le coup de marteau en bois sur la tête après avoir enfilé un casque en cuir.
Saint Hilaire, évêque de Poitiers (315-367)
Exilé en Orient par l’empereur romain Constantin, décrivit les drogues comme « berçant l’âme vers le sommeil ».mais si le dosage était inapproprié, l’âme pouvait ne pas se réveiller dans ce monde…
Sextus Apulieus Barbarus, au 5e siècle, dressa une compilation médicale sous forme d’herbier : Herbarius Apulei Platonici
dans laquelle il recommanda “à celui qui doit subir une amputation, ou une brûlure, laissez le boire une demie mesure de vin. Il s’endormira et son membre pourra être coupé sans douleur ni sensation. » Malheureusement les douleurs extrêmes tendent à exercer un effet de sobriété.
Abu Ali al-Husain ibn Abdallah ibn Sina, dit : Avicenne (980 - 1037)
« La médecine est l’art de conserver la santé et éventuellement, de guérir la maladie survenue dans le corps. »
Fils d’un collecteur d’impôts, Avicenne était un médecin, philosophe, astronome et mathématicien Perse, né dans l’actuel Ouzbékistan. Après une vie mouvementée qui l’obligera à de fréquents voyages en Perse, en 1023 réfugié auprès de l’émir d’Ispahan, Ala Eddin, il rédigera son plus fameux ouvrage parmi les 270 répertoriés : le "Kitab Al Qanum fi Al-Tibb" ("Canon de la médecine"), compilation en cinq livres de tout le savoir médical de l’époque, comprenant :
– Volume I - Description des principes et des théories de la médecine. Panorama de l’anatomie, de la philosophie et de la pathologie des différents organes
– Volume II - Classification des médicaments simples par ordre alphabétique, avec description des propriétés thérapeutiques de chacun.
– Volume III - Description des maladies localisées du corps, de la tête aux pieds.
– Volume IV - Description des symptômes des maladies, les fièvres par exemple.
– Volume V - Énumération de 760 médicaments composés.
Avicenne louait le cannabis, mais reconnaissait l’opium comme le “plus puissant des stupéfiants”. Les traitements et les « délassements » à base d’opiacés étaient utilisés depuis l’aube de l’humanité. La combinaison entre l’opium et l’alcool peut diminuer la douleur et parfois éliminer la conscience pas toujours de façon réversible.
Raymundus Lullius (1232 - 1315)
Lullius, connu aussi sous le nom de Raymond Lull, était un génie à multiples facettes. C’était un poète catalan, nouvelliste, théologien, inventeur, écrivain médical, marin, missionnaire, et aurait peut-être découvert en 1275 le "doux vitriol " : l’éther.
Toutefois, aucune description n’est retrouvée dans ses travaux existants. L’éther semblerait avoir été synthétisé par Jebbar, savant arabe au VIIIème siècle.
Arnaud de Vileneuve (1238 - 1310)
Au 13e siècle, un médecin, alchimiste, astrologue et magicien, Arnaud de Villeneuve faisait des recherches sur un anesthésiant efficace. Dans un de ses ouvrages, une variété de potions étaient enseignées ainsi que différentes méthodes d’administration afin de rendre le patient « si insensible à la douleur, qu’il puisse se couper et ne rien sentir, comme s’il était mort » . Dans cette intention, un mélange de mandragore, d’opium et de jusquiame noire était utilisé. Cette méthode était similaire à l’inhalation d’éponge soporifique décrite vers 1200 par Nicolas de Salerne, et que l’on retrouve ça et là, dans diverses sources du 9e au 14e siècle.
La recette de de Villeneuve fut modifiée par un frère dominicain, Théodore de Lucce, (1210-1298), qui ajouta du jus de laitue, de lierre, de mûres, d’oseilles et de ciguë. De cette nouvelle décoction, une nouvelle éponge soporifique fut bouillie et réduite en poudre. En cas de besoin, la tisane était versée dans de l’eau bouillante et appliquée dans les narines des affligés.
D’autres techniques pour supprimer la douleur eurent la vie longue.
La saignée relève indubitablement de la douleur, car elle était utilisée de façon dangereuse et souvent avec une issue fatale, souvent car les malades étaient en hypovolémie ou en anémie.
Avant l’invention de la suture par Ambroise Paré (1510-1590),
un chirurgien français des armées royales , les « patients » ayant recours à la chirurgie mourraient, soit à cause de leurs blessures, soit à cause de la méthode pour fermer leur blessure. La technique employée habituellement imposait la cautérisation par l’application d’huile chaude ou de fers chauds.
Pour fermer les vaisseaux après amputation, le moignon sanglant pouvait être plongé dans de la poix bouillante. Celui qui ne s’évanouissait pas de douleur, ou n’était pas saisi d’un infarctus de stress, pouvait espérer reprendre vie peu à peu…
Points de saignée. Hans von Gersdorff, "Feldbuch der Wundarznei", 1517.
La base théorique de la saignée était la tradition de la psychologie et de la physiologie des humeurs. Elle date de Galien de Pergame. La pratique de ce procédé fut poursuivit par les chirurgiens barbiers et les chirurgiens jusqu’au 19e siècle.
Le sang a plus d’un tour dans son sac...
Valerius Cordus (1515 - 1554)
La synthèse de l’éther a été décrite en 1540 par un disciple de Paracelse, un pharmacien et botaniste allemand : Valerius Cordus. Il nomma l’éther « la douce huile de vitriol » le terme éther était communément utilisé en référence à un composé spécifique le diéthyl éther (CH3CH2OCH2CH3 ) connu aussi sous le nom d’ethoxyethane. Il fallait dulcifier l’acide du vitriol (H2SO4) ou l’acide muriatique et oxygéné par l’esprit de vin (alcool) pour produire le vitriol doux. Celui ci avait la propriété d’assoupir les poules.
L’éther sous forme liquide se vaporise facilement dans une pièce tempérée. Ainsi il peut être inhalé ou avalé.
Le terme « éther » est aussi utilisé dans la chimie organique, où un éther est un groupe fonctionnel qui résulte de la condensation d’alcools. Ce sont des composés organiques contenant un atome d’oxygène accolé à deux groupes d’hydrocarbone.
Thomas Bartholin (1616 - 1680)
D’origine Danoise, Thomas Bartholin était un médecin, anatomiste, naturaliste, physiologiste et mathématicien. En 1652, il donna la première description totale du système lymphatique. Il décrivit aussi l’utilisation du froid pour l’anesthésie.
Un mélange de neige et de glace fut décrite par l’italien Marco Aurelio Severino (1580-1656) dans De Novis Usa Medico (1646).
Bien plus tard, au début du 19 e siècle, Dominique Larrey,
chirurgien de Napoléon, observera que les amputations sur des membres froids, sur les champs de batailles, ne causaient aucune douleur. Quarante ans plus tard, des solutions salines glacées furent utilisées dans les premières cryochirurgie pour retirer les tumeurs accessibles et supprimer la douleur.
Chistopher Wren (1632 - 1723)
Sir Christopher Wren était un astronome, mathématicien, et architecte anglais
Il est célèbre pour avoir conçu la Cathédrale Saint Paul après le grand incendie de Londres en 1666.
En 1665, Wren administra une injection intraveineuse d’une teinture d’opium à un chien par une vessie attachée à une plume affûtée.
Wren expérimenta également la transfusion sur des chiens. Cependant il faudra attendre Karl Landsteiner (1868–1943), médecin immunologiste autrichien, naturalisé américain, et son système ABO des groupes sanguins, pour que la transfusion devienne sûre.
Friedrich Hoffmann (1660 - 1742)
Friedrich Hoffmann était un médecin allemand. Professeur de médecine et auteur de Dissertation de Potentia Diaboli un traité sur la sorcellerie.
Il introduisit l’éther dans la pharmacopée sous le nom “ Hoffman’s anodin”. Son médicament était un compose de vapeur d’éther et d’alcool éthylique. Il traitait les crampes intestinales, les maux d’oreilles, les rages de dents, les calculs rénaux et biliaires, les douleurs menstruelles et bien d’autres choses par ailleurs.
Antoine Laurent de Lavoisier (1743 - 1794)
Il a énoncé la première version de la loi de conservation de la matière, baptisé l’oxygène et participé à la réforme de la nomenclature chimique. Il est souvent considéré comme le père de la chimie moderne.
Il effectue les grands travaux fondamentaux sur l’oxygène, il met en évidence l’absorption du gaz carbonique par la potasse en réalisant avec de la chaux sodée le premier circuit fermé à titre expérimental, mais très loin encore du cadre de l’anesthésie générale.
Seishu Hanaoka (1760 - 1835)
Médecin japonais, Seishu Hanaoka fut le père de l’anesthésie. Il développa et utilisa un anesthésique général oral, une décoction d’herbes, connue sous le nom « Tsusensan ». Hanaoka opéra avec succès plus de 150 patients.
Cependant d’autres savants ont su trouver des molécules nouvelles.
Joseph Priestley (1733-1804)
Pasteur anglais exerçant à Leeds, ville du comté du West Yorkshire, dans le Nord de l’Angleterre. Philosophe et adepte de chimie, il réussit à isoler le gaz carbonique, puis l’oxygène de l’air. Aidé dans ses recherches, par le comte de Shelburne, il parvint à produire de l’oxyde d’azote pur, puis le oxyde nitreux (NO) qui allait rapidement être surnommé gaz hilarant.
Mais, toutes ces expériences chimiques dans les caves du château ne sont pas du goût de ses concitoyens qui l’accuse rapidement de sorcellerie.
Il meurt à l’age de 71 ans, sans avoir pu appliquer les vertus anesthésiques de sa découverte chez l’homme.
Humphrey Davy (1778-1829)
Ce jeune apprenti pharmacien reprend les travaux de Priestley sur le oxyde nitreux (NO). Il met au point un ballonnet de soie, muni d’une tubulure, pour en faciliter l’usage. Il émet l’hypothèse d’utiliser ce gaz pour lutter contre la douleur chirurgicale, mais son idée n’est pas retenue.
Michael Faraday (1791-1867)
En 1818, ce jeune préparateur en pharmacie découvre les pouvoirs narcotiques des vapeurs d’éther. Membre d’une église presbytérienne prônant que le monde du Christ n’était que spirituel, il fut aussi un des plus grands scientifique expérimental.
Il découvrit l’induction électromagnétique, la batterie et la dynamo. Il fut le pionner des travaux électrochimique, il isola le benzène et produisit l’aluminium par électrolyse. Il construisit le premier moteur électrique et le premier générateur et transformateur.
Il connut l’oxyde nitreux (NO) par son mentor Humphrey Davy. Faraday reconnu que l’inhalation d’oxyde nitreux ou de vapeurs d’éther, en dépit de leur différence chimique, exerçaient des effets similaires sur la conscience. Hélas, leur potentiel pour l’anesthésie chirurgicale lui échappa.
La découverte fondamentale viendra des États-Unis.
Henry Hill Hickman (1801-1830)
Jeune médecin, il va se consacrer à l’étude expérimentale rigoureuse de ces différents gaz sur l’animal. Il va alors décrire" un état d’animation suspendue", permettant d’opérer des animaux sans aucune douleur.
Crawford Williamson Long (1815-1878)
On peut sans doute déclarer que le véritable premier anesthésiste fut ce médecin américain.
Né à Daniesville en Géorgie, il entra à l’université de Géorgie (actuel collège Franklin) à l’âge de 14 ans.
Il apprendra sous le couvert du docteur Grant, avant de quitter la Géorgie pour l’école de médecine de Pennsylvanie. Il y reçut sa formation chirurgicale, suivit d’une année à New York avant de revenir parfaire sa pratique au contact de son maître, Grant.
Long était un jeune diplômé de 27 ans, quand il nota que les utilisateurs d’éther ne sentaient aucune douleur des blessures qu’ils se faisaient durant leurs « voyage ». Il en conclu que ceci pouvait être transposé pour supprimer la douleur chirurgicale. L’opportunité de vérifier ses dires, survint en la personne de James Venable qui lui demanda de supprimer un kyste de son cou. Trois témoins rapportèrent que le 30 mars 1842, à Jefferson en Géorgie, l’opération fut un succès et que Venable ne sentit rien.
Malheureusement, il ne parle pas officiellement de son intervention et de son nouveau concept, qui tombe dans l’oubli. Il publiera un article en 1849 : An account of the first use of sulphuric ether by inhalations as an anesthetic in surgical operations. Southern Medical and Surgical Journal 1849 ; 6 : 705-713
Toutefois, de nos jours aux États-Unis, le 30 mars est considéré comme le jour anniversaire de l’anesthésie.
En 1920, l’Assemblée Générale américaine proposa et ratifia un amendement constitutionnel pour créer un nouveau comté en l’honneur de Crawford Long. En 1926, la Géorgie a placé une statue en marbre de Long dans la collection statuaire nationale du capitole des Etats-Unis. En 1940, le département de poste des Etats-Unis a honoré Long d’un timbre commémoratif.
Horace Wells (1815-1848)
Horace Wells naquit en 1815 à Hartford, Connecticut, dans une famille puritaine et après avoir longtemps hésité à rentrer dans les Ordres, il entreprit des études de dentiste à Boston. Son diplôme obtenu, il s’installa dans sa ville natale où sa renommée grandit rapidement.
Le 10 décembre 1844, il assista à la conférence d’un jeune chimiste ambulant qui se disait directeur du cirque du Gaz Hilarant, Gardner Quincy Colton, où celui-ci expliquait les effets du protoxyde d’azote. Un des spectateurs, invité par Colton à monter sur l’estrade pour expérimenter le gaz, fit une chute en redescendant de l’estrade, se blessant profondément au mollet avec un clou qui dépassait mais affirma n’avoir pas mal du tout. Horace Wells comprit aussitôt que le protoxyde d’azote était la raison de cette absence de réaction à la douleur. Pour vérifier cette assertion, il se fit extraire, dès le lendemain, une molaire en train de se gâter par son ancien élève Riggs tandis que Colton lui administrait le gaz, le fameux oxyde nitreux (NO) stocké dans un ballon de soie muni d’un embout. C’est un franc succès, Wells n’a rien senti. Fort de cette expérience, après que Colton lui ait montré comment préparer l’oxyde nitreux, et avec l’aide de Riggs, il renouvela cette expérience auprès de quinze de ses patients au cours des mois suivants et commença à partager sa technique avec ses confrères. On vient se faire arracher les dents chez Wells.
Les résultats qu’il obtint furent publiés dans le Boston Surgical and Medical Journal du 18 juin 1845.
Après ces premières expériences, couronnées de succès, il se rendit à Boston où il rencontra le Pr Warren, chirurgien du Massachusetts General Hospital. Ce dernier le présenta à ses étudiants et lui demanda de faire une démonstration d’extraction dentaire sous anesthésie sur l’un d’eux. La séance se déroula le 20 janvier 1845 et Wells demanda à son auditoire si quelqu’un avait besoin de se faire extraire une dent. Un élève leva la main et après l’avoir examiné, Wells commença sa démonstration. Mais suite à une mauvaise administration du gaz (due vraisemblablement à un défaut matériel), l’étudiant se plaignit d’avoir très mal et les autres étudiants se mirent à huer Wells et à hurler que tout cela n’était qu’une farce.
Cette expérience désastreuse marqua un sérieux coup d’arrêt dans l’utilisation du protoxyde d’azote en anesthésie et discrédita même Wells aux yeux de la communauté médicale.
En 1847, sa mauvaise santé obligea Wells à suspendre ses activités professionnelles et à se reconvertir en marchand de tableaux, activité qui l’emmena en Europe, notamment à Paris qui était alors la Mecque de la médecine. Là, il fit la connaissance de son compatriote Brewster, dentiste de la famille royale, qui l’introduisit auprès des deux Académies. Les lettres annonçant des preuves établissant sa priorité non seulement dans l’inhalation de l’éther ou du protoxyde d’azote « mais dans le principe même qui établit la possibilité de la production de l’état d’insensibilité… » furent lues en février et mars 1847, en plein débat sur l’éthérisation. Mais l’Académie des Sciences avait déjà donné la priorité aux travaux sur l’anesthésie de Jackson et Morton
Rentré dépressif à Hartford, Horace Wells ne rouvrit pas son cabinet, vivant chichement du produit de ses conférences sur l’ornithologie. Lorsque le chloroforme fut révélé par Simpson comme un anesthésique de valeur, Wells chercha à l’essayer sur lui-même. Funeste idée ! Il tomba rapidement dans la dépendance et le 21 janvier 1848, en plein délire, attaqua deux prostituées sur lesquelles il jeta de l’acide sulfurique. Arrêté, il mit fin à ses jours le 24 janvier en se tranchant l’artère fémorale, laissant une lettre pour expliquer son geste :
« Je reprends la plume pour finir ce que j’ai à dire. Grand Dieu ! comment en suis-je arrivé là ? Tout cela ne serait qu’un songe ? Avant minuit, j’aurais payé ma dette à la nature, et il le faut ; car, quand je sortirais libre demain ; je ne pourrais vivre en m’entendant appeler un malhonnête homme. Et Dieu sait que je ne le suis pas. Ah ! ma chère mère, mon frère, ma sœur que vous dirais-je ? Mon désespoir ne me permet que de vous dire adieu. Je vais mourir ce soir avec la conviction que Dieu qui connaît tous les cœurs, me pardonnera cet acte terrible. Je vais passer en prière ce qui me reste de temps à vivre. Quel malheur pour ma famille ! Et ce qui me cause le plus d’angoisses, c’est de voir mon nom se rattacher à une découverte scientifique qui l’a rendu familier à tout le monde savant. Et maintenant que je puis encore tenir ma plume, il faut que je leur dise adieu à tous ! Oh ! mon Dieu pardonnez-moi ! Oh ! ma chère femme et mon enfant, que je laisse sans moyen d’existence, je voudrais vivre et travailler pour vous ; mais je ne le puis, je deviendrais fou ! Je me suis procuré l’instrument de ma destruction lorsque la personne chargée de me garder m’a permis hier de monter dans ma chambre. »
Bien plus tard, la France honorera Wells en reconnaissant son antériorité dans la découverte de l’anesthésie chirurgicale et une statue fut érigée au 1 Square des Etats-Unis à Paris. Sur le socle, on peut lire : « Au dentiste Horace Wells. Novateur de l’anesthésie chirurgicale ».
John Collins Warren (1778 -1856)
Officiant à Boston, il fut l’un des chirurgiens les plus reconnus du 19e siècle, et le premier à montrer l’intérêt de l’anesthésie en chirurgie.
Fils du Dr. John Warren, médecin célèbre, professeur à Harvard, et fondateur de la Harvard Medical School, le jeune Warren promu du Harvard College (université d’Harvard) en 1797, commença alors à étudier la médecine avec son père.
En 1799, il continua ses études médicales à Londres et Paris, incluant la participation aux travaux avec le pionnier de l’anatomie Sir Astley Cooper (1768-1841). A son retour d’Amérique en 1802, Warren entama un partenariat avec son père et l’assista dans ses lectures anatomiques, dissections et démonstrations à la Harvard Medical School.
Il fut nommé professeur adjoint d’anatomie et de chirurgie en 1809, puis, à la mort de son père en 1815, assuma le poste de professeur d’Anatomie et de Chirurgie, poste qu’il gardera jusqu’a sa retraite en 1847. Pendant ce temps, Warren joua un rôle de meneur dans la fondation du premier journal médical de la Nouvelle Angleterre, The New journal of Medecine and Surgery ("Le nouveau journal de médecine et de chirurgie", premier tirage en Janvier 1812), qui évoluera par la suite et deviendra l’actuel New England Journal of Medecine. ("Le journal de médecine de la Nouvelle Angleterre") Il était par ailleurs membre actif de l’Anthology Club.
Le Dr. Warren fut le premier doyen de la Harvard Medical School (1816-1819) et favorisa son déménagement de Cambridge à Boston. Bien qu’il ne reçu ou ne gagna jamais de récompense, Harvard le présentait comme possédant un diplôme honoraire en 1819(?). Il fut membre fondateur du Masachussets General Hospital et officia comme premier chirurgien.
Il gardera son poste dans l’équipe hospitalière jusqu’en 1853 et restera à son bureau de consultations jusqu’à sa mort. Tout au long de sa carrière, le Dr. Warren rassembla une collection pédagogique extraordinaire de spécimens anatomiques et pathologiques, qu’il présenta à Harvard en 1847. Ce fut le commencement du Warren Anatomical Museum ("Musée Anatomique Warren")
Warren et l’anesthésie
Warren fut impliqué deux fois dans l’aube de l’histoire de l’anesthésie. Le premier incident fut une démonstration ratée de l’oxyde nitreux (NO) par le dentiste Horace Wells le 20 Janvier 1845. Bien que le Dr. Warren ne croyait pas que cette anesthésie marcherait, il organisa cette démonstration au Massachusetts General Hospital.
Warren présenta Wells à ses étudiants, mais le patient dont l’amputation avait été programmée le matin, refusa d’être opéré. Warren demanda alors à ses étudiants si l’un d’entre eux avait besoin d’une extraction dentaire, et l’un des étudiants accepta de se prêter à l’expérience.
Malheureusement, le gaz ne fut pas administré proprement et l’on déplora un niveau de douleur normal pour ce genre d’opération, ce qui discrédita la thèse de Wells sur l’oxyde nitrique comme anesthésique.
N’en restant pas à cet échec, le Dr. Warren accepta une nouvelle fois d’exécuter une démonstration publique d’une opération chirurgicale sur un patient, un homme timide de 52 ans, imprimeur de son état, prénommé Edward Gilbert Abbott. Celui-ci avait une tumeur vasculaire congénitale, au bas de la mâchoire. Cette anesthésie devait être administrée par Morton.
Pour rassurer le patient, et apporter la preuve de l’innocuité d’un appareil qu’il avait conçu et baptisé du nom de Léthéon, Morton avait présenté dans l’amphithéâtre Eben Frost, un marchand de Boston, qui avait une dent ulcérée que Morton avait extrait dans son cabinet le 30 septembre 1846.
Le 17 octobre 1846 Warren invita Morton à administrer le “Léthéon” à son patient, Edward Gilbert Abbott.
Pour la démonstration publique d’éthérisation au Massachusetts General Hospital massachusset, Morton collabora avec l’équipe du chirurgien Henry Bigelow. L’opération sous Léthéon dura 10 minutes, durée pendant laquelle le patient était apparemment inconscient.
Après avoir fini, Warren déclara : "Gentlemen, this is no humbug"
("Messieurs, ceci n’est pas un canular").
Conscient de l’importance de la démonstration, le Dr. Warren invita le photographe Josiah Johnson Hawes, de Southwork & Hawes, à immortaliser l’acte chirurgical. Cependant, Hawes étant sensible à la vue du sang, il ne fit qu’un daguerréotype de la salle de chirurgie avant l’opération.
Il écrira dans son journal personnel, le même jour : "Fait une opération intéressante à l’hôpital ce matin, lorsque le patient était sous l’influence la préparation du Dr Morton pour prévenir la douleur. La substance employée était de l’éther sulfurique". Le Dr. Warren compris rapidement les avantages remarquables offerts par l’éther dans les procédures chirurgicales, et devint un chantre de la cause de "l’étherisation" à travers ses travaux et publications.
Une ère nouvelle s’ouvrait.
Warren était réputé et une des figures les plus respectée de la médecine. Sans sa bonne volonté à vouloir essayer de nouvelles procédures en public, la révolution de l’anesthésie aurait pu être retardée durant des années. L’article magistral de Bigelow,
insensibilité pendant une intervention chirurgicale délivrée par inhalation en 1846, scella le triomphe de Morton.
Le 7 décembre, Gilbert Abbott quittait l’hôpital sain et sauf, 52 jours plus tard.
Henry J. Bigelow (1818 - 1890)
Henry Bigelow détestait toute forme de souffrance. Il était un chirurgien distingué, grand clinicien et auteur d’essai de « Histoire de la découverte de l’anesthésie moderne ». Bigelow nota comment l’agent idéal de l’anesthésie moderne, devait induire une insensibilité sûre, durable et complète. La mandragore, l’opium et le chanvre donnaient une insensibilité partielle, limitée et dangereuse. L’éther n’était pas parfait, mais il était suffisamment bon pour entraîner la révolution de l’anesthésie.
Bigelow aida Horace Wells dans sa tentative ratée de délivrance de protoxyde d’azote en janvier 1845. en 1846, Bigelow lu dans un journal local, le Boston Delly Journal, sous la plume d’Albert G. Tenney qui en avait été le témoin, qu’un dentiste, William Morton, pratiquait des extractions dentaires sans douleur, sous éther.
Eben Frost, un marchand de Boston, avait auparavant demandé à être mesmerisé (une forme d’hypnose basée sur le fluide magnétique). Morton pensa avoir une meilleure solution. Bigelow rencontra Morton. Avec l’assistance de jeunes chirurgiens, une démonstration publique sur cette innovation fut décidée.
Morton était diplômé de l’école de médecine de Harvard à l’automne 1844, et n’était pas un étranger dans cette ville. Il avait lu beaucoup d’article sur l’humiliation subit par Wells quelques vingt mois auparavant devant un parterre d’étudiants et de chirurgien méprisants. Ainsi par son entremise, Bigelow venait d’accorder une deuxième chance à l’anesthésie.
Il écrivit plus tard nombre d’articles sur l’éther et le chloroforme.
William Thomas Green Morton (1819-1868)
Morton est né à Charlton, un village du Worcester, dans le Massachusetts. Il fit ses études à l’académie de Northfield et Leicester. Il fut vendeur, employé, imprimeur à Boston. Mais il ne fut as satisfait de ces métiers peu lucratifs.
En 1840 il rejoint le Collège de chirurgie dentaire de Baltimore. Il en sortit sans diplôme. Toutefois en 1842 – 1843, il devint élève et partenaire de travail du dentiste de Hartford, Horace Wells. Le partenariat ne fut pas un grand succès. Il fut dissout six mois plus tard.
En 1844 Morton devint étudiant à l’école de médecine d’Harvard, en partie pour augmenter sa connaissance médicale, en partie pour impressionner sa future femme, Rebecca Needham, mais il ne finit pas son cursus scolaire encore une fois.
Pour parfaire sa connaissance de la chimie, il lu les travaux du professeur Charles Jackson, de qui il appris les propriétés de l’éther. En 1844, Jackson démontra que l’inhalation d’éther sulfurique entraînait une perte de conscience. Mais il ne proposa pas à ces collègues chirurgien d’Harvard d’appliquer ses connaissances sur la pratique chirurgicale. Encore une opportunité gâchée.
Morton continua sa pratique dentaire pour financer ses études médicales. Dix ans auparavant il avait trouvé une méthode permettant de soudure que d’utiliser des attaches en plaqué or.
Il était clair, qu’il désirait trouver une bonne méthode pour extraire des racines dentaires et des dents malades, avec un minimum de douleur. Morton expérimenta l’opium, les stimulants, le mesmérisme. L’opium enlevait la douleur. Des stimulants dopaminergiques peuvent servir d’analgésique également, et le mesmérisme ne fonctionnait qu’avec des patients extrêmement influençables et un médecin charismatique.
Aucune de ces options n’étaient satisfaisantes.
Mais la chance était proche.
Morton était présent dans l’amphithéâtre du Massachusetts General Hospital quand son partenaire et formateur, Horace Wells échoua à convaincre des médecins sur l’intérêt qu’offrait le protoxyde d’azote, pour une chirurgie sans douleur.
Morton consulta le professeur Jackson sur la possibilité d’utiliser un agent plus puissant. On suppose que Jackson conseilla l’utilisation de l’éther. Après avoir expérimenté sur lui et sur les animaux, Morton réussi une extraction dentaire sans douleur sur Eben Frost, relayé par un journaliste de Boston. Bigelow lu l’article et arrangea une démonstration publique sur cette procédure révolutionnaire, devant un homme à la solide réputation, le chirurgien chef, John Collins Warren.
A l’heure dite, Morton n’était pas là. Pendant que Warren allait commencer à opérer, Morton surgit dans l’amphithéâtre. Il avait avec lui, le « Letheon » inhalateur d’un nouveau genre, utilisé pour délivrer de l’éther, substance qu’il cherchait à breveter. Il ne fit qu’exacerber l’incrédulité et le scepticisme de l’assistance médicale.
Mais à son grand étonnement, l’assistance pu constater que l’intervention se déroula à merveille. D’habitude les opérations se déroulaient dans les cris, les gémissements et le sang. Ici ce fut le silence. Edward Gilbert Abbott, cinquante deux ans, respira dans le Letheon, s’endormit, et resta anesthésié durant le temps de l’ablation de la tumeur vasculaire que fit Warren.
Morton a baptisé son inhalateur d’éther "le Letheon".
Dans la mythologie grecque, au sein du royaume d’Hadès, dieu des Enfers, les eaux du fleuve Léthe avaient la réputation de provoquer l’amnésie aux âmes des justes ainsi qu’à celles qui avaient expié leurs fautes et aspiraient à une vie nouvelle, avant de mieux renaître dans un autre corps.
On décrit souvent Morton comme avare et sans scrupule. Ce qui est faux en partie, comme le démontre ses actions auprès des soldats de la guerre de Sécession. Il voulait breveter la substance qu’il avait baptisé Letheon. Mais les médecins découvrirent rapidement que le produit était de l’éther, et en peu de temps, le procédé de Morton fut adopté aux États-Unis et en Europe.
Ses multiples tentatives pour faire reconnaître l’invention comme sienne, eurent raison de lui.
Il mourra à l’âge de 48 ans d’une congestion cérébrale.
Il ne put jamais faire breveter son invention et ses rêves de fortune partirent dans une brume évanescente.
Comme une anesthésie...
Des hauts et débats
Les accidents d’anesthésie ne tardent pas à lancer le débat sur l’utilisation de l’un ou l’autre produit. Alors qu’à Lyon, Strasbourg, Montpellier, en Amérique, l’éther est le produit de choix, le chloroforme est largement utilisée à Paris, en Angleterre, en Allemagne.
Charles Jackson (1805 - 1880)
Chimiste réputé, Jackson est une personnalité importante de Boston. Il connait bien les effets de l’éther, notamment de l’éther sulfurique pur. Il conseille Morton pour la fabrication d’un appareil destiné à faire inhaler le gaz miraculeux.
Fils d’un marchand influent de Plymouth, Jackson étudia la médecine à Harvard et la géologie à Paris. Quand il rencontra Samuel Morse sur un bateau 1832, Jackson expliqua le principe du télégraphe, comme il l’appellera plus tard. De retour à boston, Jackson installa son propre cabinet. Mais il abandonna en 1836 pour établir un laboratoire privé dédié à l’analyse chimique.
En 1844 il démontra bien avant ses classifications chimiques que l’inhalation d’éther sulfurique entraînait la perte de conscience. Un de ses étudiants, William Morton, un dentiste, cherchait des connaissances médicales.
Après la démonstration de Wells sur le protoxyde d’azote qui échoua par sous dosage, Jackson fut approché par son maître pour un conseil. Dans les dix dernières années, la nature des recherches de Jackson fut disputée par Jackson, Morton, et leurs partisans respectifs.
Après le succès public de Morton, sur l’éthérisation, Wells dit qu’il fut inspiré par eux deux, et Crawford Long, annonça tardivement dans un article, qu’il utilisait l’éther depuis plusieurs années.
Quelque que soit l’histoire, il semble que Jackson conseilla Morton d’utiliser un agent plus puissant pour la chirurgie, appelé diethyl éther de formule H5C2-O-C2H5.
L’éther est un liquide volatile incolore avec un odeur forte et des vapeurs irritantes. Il est inflammable et demande plus de surveillance que le protoxyde d’azote dans les interventions importantes. Plus tard, Jackson considéra Morton comme une personne peu scrupuleuse qui l’avait privé de tout son crédit. L’écrivain mark Twain affirma que le crédit de la découverte de l’anesthésie avait été dérobé au docteur Long par un nordiste.
Il n’y a aucune raison de douter que Long, Wells, Jackson et Morton étaient convaincu sincèrement avoir été le découvreur de l’anesthésie générale, à l’instar d’un autre étudiant du collège médical de Berkshire, William E. Clarke qui les précéda.
Les historiens japonais notent qu’ils sont tous devancés par Seishu Hanaoka et ses disciples plus tôt dans le siècle...
Le brevet
Le Professeur Charles Jackson et William Morton ont conjointement essayé de faire breveter le "Letheon" pour leur propre bénéfice privé ; mais c’est Morton qui a supporté la majeure partie de la calomnie pour avoir voulu faire ainsi.
Plusieurs jours après le triomphe de Morton au general Hospital of Massachusetts, le professeur Jackson a revendiqué son droit à l’invention. Jackson a exigé que Morton lui payent des honoraires de 500 dollars ou 10% de ses futurs revenus.
Outragé, Morton et son mandataire de brevet passèrent néanmoins un accord avec Jackson. Ce dernier adhéra à la demande du brevet de Morton, qui devait percevoir 65% des revenus, 25% au mandataire et 10% pour Jackson
L’accord n’a pas duré.
En 1861, Jackson a édité un manuel d’Etherisation. Par ce biais, il ne clamait pas seulement qu’il avait instruit Morton sur les propriétés anesthésiques de l’éther, mais qu’il avait utilisé Morton pour mettre en scène la démonstration célèbre à l’hôpital général du Massachusetts au nom de son professeur illustre.
Oliver Wendell Holmes (1809 - 1894)
L’anesthésie doit son nom de baptême au professeur d’anatomie et de physiologie au collège de Dartmouth, Oliver Wendell Holmes, qui écrivit un article sur le pionner de l’éthérisation, William Morton.
Son article sur “ la contagion des fièvres puerpérales” fut publié dans le journal de médecine de la nouvelle angleterre. Holmes contribua certainement à sauver plusieurs vies, et par ses travaux, certains historiens le mettent au même rang qu’ Ignace Semmelweis, précurseur de l’asepsie.
Le 12 novembre 1847, un gynécologue-obstétricien écossais, Sir James Young Simpson publie la première anesthésie par le chloroforme (Account of a New Anaesthetic Agent) pratiquée en janvier de la même année.
Le chloroforme fut introduit dans la pratique médicale en 1847 aux Etats-Unis. L’anesthésie fut ensuite développée comme une pratique médicale à part entière par deux Anglais, Joseph Clover et John Snow.
Ce dernier devint particulièrement célèbre dans ce domaine pour avoir administré une analgésie au chloroforme à la reine Victoria en 1853 pour la naissance du prince Léopold. La célébrité de Clover fut liée à la conception d’inhalateurs, permettant de doser très précisément les proportions d’éther ou de chloroforme à administrer.
L’anesthésie en tant que discipline était née.
John Snow (1813 - 1858)
Son épitaphe au cimetière de Brompton dit : "citoyen exemplaire et médecin aguerri. Il démontra que le choléra est transmis par de l’eau contaminée et il fit de l’art de l’anesthésie, une science"
Né en 1813, il est membre du Collège Royal de chirurgie en 1838. En 1841, il invente un appareil, le pulmotor, destiné à traiter l’asphyxie des nourrissons. En 1843, il est admis à l’école de médecine de l’université de Londres et devient docteur en médecine en 1844.
Lorsque la nouvelle de l’administration d’éther par Morton à Boston arrive en Europe, il se passionne pour l’anesthésie à laquelle il va consacrer désormais la totalité de son activité.
Il publie son livre sur l’anesthésie à l’éther en septembre 1847. Dans cet ouvrage, il décrit cinq stades d’anesthésie à l’éther, le stade chirurgical correspond au quatrième. Néanmoins, Snow observe que la chirurgie peut être pratiquée en alternant la profondeur de l’anesthésie entre les troisième et quatrième stades, voire même en revenant temporairement au deuxième en fonction de l’importance de l’agression chirurgicale.
Afin de mieux contrôler la profondeur de l’anesthésie, John Snow invente un vaporisateur avec lequel la proportion de vapeur délivrée est fonction de la température de l’air, elle-même maintenue par un réservoir d’eau entourant le système de vaporisation.
Il invente également un masque muni d’une valve qui permet l’administration d’air additionnel lorsque l’anesthésie doit être allégée.
Il discute dans son livre les stades d’anesthésie qu’il décrit par rapport aux autres auteurs, en particulier Francis Plomley qui en janvier 1847 avait décrit trois stades cliniques et par rapport à Flourens qui décrit les effets de l’éther en thermes plus physiopathologiques.
Pour ce dernier, l’éther abolit d’abord l’activité des hémisphères cérébraux, puis l’activité de coordination motrice du cervelet et enfin les fonctions motrice et sensitives de la moelle. L’activité du tronc cérébral est respectée, sauf en cas de surdosage aboutissant à la mort.
John Snow est un précurseur de talent puisqu’il décrit avant Guedel (1920) les principaux signes cliniques de l’anesthésie et invente le premier vaporisateur afin de permettre un meilleur contrôle de la profondeur de l’anesthésie. Le quatrième stade décrit par Snow correspond au troisième stade de Guedel.
Après cette longue description des caractéristiques de l’anesthésie à l’éther, Snow rapporte les observations cliniques qu’il a recueillies successivement au St George’s Hospital et à l’University College Hospital. Dans ce dernier établissement, il a en particulier travaillé avec le fameux chirurgien Liston.
John Snow poursuivra sa carrière d’anesthésiste en pratiquant plus de 5000 anesthésies au chloroforme sans accident.
Il se fera connaître du public en administrant le chloroforme à la reine Victoria en 1853 lors de son accouchement du prince Léopold. Il consacre une grande partie de son activité à la recherche, expérimentant en particulier l’anesthésie avec ré inhalation et neutralisation du CO2 par la soude.
Son dernier ouvrage "On Choroform and other anaesthesics" est publié peu de temps après sa mort.
John Snow a été un des premiers à comprendre que l’anesthésie offrait un champ de recherche et d’applications cliniques tellement vastes qu’il était nécessaire de s’y consacrer à temps complet.
La reine Victoria (1819, règne 1839 - 1901)
" Docteur Snow donna ce chloroforme béni, avec ses effets apaisant, tranquillisant et absolument délicieux."
Quelle meilleure publicité que ce véhicule universellement connu ? On peut dire que c’est une femme qui a donné ses lettres de noblesse à l’anesthésie en lui permettant l’ouverture vers les autres. Son geste, emprunt (involontairement ?) d’altruisme, vaut à la reine Victoria une certaine forme d’estime des anesthésistes d’aujourd’hui.
La reine et le prince consort Albert, montrèrent un intérêt pour le chloroforme en 1848. Cependant leurs médecins avaient de grosses réserves sur la sécurité de l’anesthésie obstétrique.
En 1850 le septième accouchement de la reine pour la naissance d’Arthur, duc de Connaught fut réalisé sans l’aide d’un anesthésique.
En 1853 John Snow administra du chloroforme pour la naissance du prince Léopold et en 1857 pour la naissance de la princesse Béatrice.
John Snow fut chanceux, car un échec aurait changé le cours de l’histoire.
La reine Victoria accéda au trône par la mort tragique du prince Georges IV. En 1817, la princesse Charlotte (1796-1817), mourut de complications du post-partum (probablement d’hémorragies) après un travail qui dura 15 heures et qui la fit accoucher d’un enfant de 4,5 kilos.
La princesse avait subit plusieurs saignées durant sa grossesse pour “prévenir l’hémorragie ou si l’enfant est trop gros”. Son obstétricien, Sir Richard Croft (1762-1818), fut critiqué d’avoir eu peur d’utiliser les forceps durant l’accouchement, et qu’il ne puisse sauver et la mère et l’enfant. Il se suicidera au début de l’année nouvelle.
Heureusement, la reine victoria et ses médecins échappèrent à une telle situation.
La reine fut légèrement chloroformée, et le prince Léopold naquit sans incident.
La réputation de Snow grandit dès ce jour, même si le journal le Lancet déplora l’utilisation d’un moyen non naturel pour un événement naturel.
Mais la bonne conclusion royale donna à l’anesthésie une respectabilité dans l’obstétrique aussi bien qu’en chirurgie.
Après l’éther vient le chloroforme : Le physiologiste Pierre Flourens anesthésie des animaux au chloroforme mais c’est James Simpson, gynécologue à Edimbourg, qui, après avoir fait un essai sur lui et sur ses assistants, l’utilise régulièrement à partir de 1847.
L’éther est utilisé pour la première fois en France, en 1847, alors qu’un des chirurgiens français les plus réputés, Velpeau, avait déclaré, huit ans plus tôt, que la chirurgie sans douleur était inconcevable.
Toutefois, l’anesthésie n’est pas seulement l’élimination de la douleur, c’est aussi un moyen d’inhiber la contraction musculaire.
Claude Bernard ( 1813- 1878 )
En 1844, il découvre que le curare agit sur la jonction neuromusculaire entraînant une paralysie et une baisse du tonus musculaire ; sous l’effet du curare, les muscles ne fonctionnent plus, deviennent mous, les poumons s’immobilisent. En raison de la paralysie respiratoire, le cerveau et les tissus ne sont plus alimentés en oxygène.
Le temps s’écoule et les médecins ne tirent profit de cette observation qu’en 1942 : à cette date, un dérivé purifié, l’intocotrine, extrait des plantes à curare rapportées d’Amazonie en 1938 est introduit en anesthésie.
Claude Bernard en 1860, propose l’anesthésie combinée associant morphine et chloroforme. Cette association est le concept de l’anesthésie balancée. Il énonce aussi le principe de la prémédication « en donnant d’abord la morphine en injection sous-cutanée ou autrement, puis en administrant le chloroforme qui agit alors en quantité beaucoup plus faible. » En 1874 Claude Bernard publie ses leçons sur les anesthésiques et l’asphyxie.
Joseph Clover (1825 – 1882)
En 1862 un anesthésiste John Clover développa le premier appareil pour délivrer le chloroforme en concentration contrôlée. Il inventa un inhalateur régulateur d’éther portable en 1877. Il administra le chloroforme et l’éther à plusieurs milliers de patients. Un seul succomba du fait de l’anesthésie.
Louis Marie Arsène Ombrédanne (1871 - 1956 )
Louis Ombredanne, chirurgien à Paris (Hôpital Necker), dont le dispositif inhalatoire créé en 1908, sera largement utilisé jusqu’en 1960 environ. Du fait de sa simplicité d’utilisation et de la sécurité qu’il procure, le masque d’Ombredanne permet à "n’importe qui" selon le mot de Paul Reclus, chirurgien français, de délivrer des anesthésies inhalatoires. Des étudiants en médecine de 1ere ou 2e année, aux infirmières ainsi que les sœurs hospitalières, mais aussi le chauffeur du chirurgien, venu dans le sillage de son employeur... Le masque d’Ombredanne est utilisé partout en Europe.
Le Club de l’Histoire de l’Anesthésie et de la Réanimation donne une utilisation vers 1965, dans le delta du Mekong, par le docteur Nguyen Khac Minh, seul anesthésiste qualifié du Sud -Vietnam.
Ombredanne s’intéresse à l’hyperthermie maligne en 1929 et en donne une description qui sera surnommée "syndrome Ombredanne". De nos jours, on évoque plus l’hyperthermie maligne.
Et après
Les premières tentatives d’anesthésie intraveineuse semblent dater de 1872, par le précurseur de l’anesthésie intraveineuse, Cyprien Oré (1828 — 1889) chirurgien bordelais qui a pratiqué l’injection intraveineuse de chloral. En 1903 deux chimistes allemands Émil Fisher et Joseph Friedrich Mering découvre les effets hypnotiques d’un dérivé barbiturique : le Véronal.
L’Evipan fut le premier barbiturique intraveineux d’utilisation modeste, qui fut supplanté en France après la guerre, par un autre barbiturique à action rapide, le thiopental utilisé pour la première fois en 1934 par l’anesthésiste américain Lundy. Il est très largement utilisé par l’armée américaine durant le second conflit mondial, et débarque dans les cantines du service de santé sur les plages de Casablanca le 8 novembre 1942. C’est l’utilisation de l’hexobarbital qui donne un coup d’envoi à la méthode en 1932.
On essaiera ensuite divers barbituriques à action rapide, mais aucun ne détrônera le thiopental. Les nouveaux agents anesthésiques intraveineux se multiplient à partir des années 1950.
L’anesthésie par inhalation est l’autre façon d’endormir les patients :
pendant près de 100 ans, le chloroforme et l’éther sont les anesthésiques par inhalation. Toutefois, le risque de syncope mortelle avec le chloroforme se confirme dès 1848, et on l’abandonne au profit de l’éther, qui cède la place au protoxyde d’azote.
Puis un composé fluoré, l’halothane, est synthétisé : il allait devenir l’anesthésique par inhalation le plus utilisé au monde dans les années 1980.
Le premier anesthésique local disponible a été la cocaïne. Il fut utilisé en chirurgie oculaire par instillation des 1884, à Vienne.
Sur les conseils de son ami Sigmund Freud, Karl Koller utilise la cocaïne pour insensibiliser le globe oculaire au cours des interventions pour cure de cataracte. Il en publie les premiers résultats le 14 septembre 1884 sous le titre de Über Coca (sur la coca), et le 15 septembre 1884, une démonstration est faite au congrès d’ophtalmologie à Heidelberg, par Joseph Brettauer.
En 1885, William Halsted réalise à Baltimore, la première anesthésie loco régionale sous cocaïne, en bloquant le nerf alvéolaire inférieur.
D’autres anesthésiques font leur apparition ; à la fin du siècle, la cocaïne est la première substance utilisée en anesthésie locale.
Toutefois sa toxicité stimula la recherche de nouveaux anesthésiques locaux.
La benzocaïne par Ritsert en 1890, la buthétamine par Fourneau en 1904.
Dans les années qui suivirent de nouveaux anesthésiques locaux sont synthétisés : la Stovaïne, mais surtout la Procaïne commercialisée sous le nom de Novocaïne par l’allemand Alfred Einhorn en 1905, la Nupercaïne en 1925, la Métycaïne en 1928, la Tétracaïne en 1935, la lidocaïne en 1943 (développée par Nils Löfgren en 1943 et commercialisée dès 1948), la chloroprocaïne en 1952, la Mépivacaïne en 1956, la prilocaïne en 1960, la bupivacaïne en 1963, l’étidocaïne en 1972. la lidocaïne est l’anesthésique local de référence, mais il est de plus en plus supplanté par des molécules plus actives et de moins en moins toxiques, comme la ropivacaine. Les amides supplantant les esters.
L’anesthésie péridurale et l’anesthésie rachidienne se développent à partir de la fin du XIXe siècle sous l’impulsion tout d’abord d’un chirurgien allemand, August Bier (1851 – 1949) qui réalise le premier essai de rachianesthésie à la cocaïne le 15 août 1898 à la suite des travaux du neurologue allemand Heinrich Quincke.
James Leonard Corning apporte sa pierre à l’édifice en pratiquant une rachianesthésie sur un chien avant de la transposer à un être humain. En France, Sicard effectue les premières rachianesthésies à la cocaïne et à la morphine durant l’année 1899. Tuffier perfectionne la technique de ponction et d’injection et met au point une aiguille à rachianesthésie, l’aiguille de Tuffier.
L’histoire de l’anesthésie péridurale est une histoire française : Sicard et Cathelin en furent les deux duettistes durant l’année 1901.
Hormis l’urologie, l’anesthésie péridurale ne fut pas réellement utilisée en chirurgie. Les anesthésistes américains développèrent la technique grâce à l’aiguille de Tuohy en 1944 et le cathétérisme de l’espace péridural en 1949. À cette époque l’anesthésie locorégionale est pratiquement abandonnée pour laisser la place à l’anesthésie générale : les chirurgiens confieront progressivement l’anesthésie à des aides, des internes des hôpitaux, des infirmières avant la création de la spécialité qui marginalisera ce chirurgien qui durant la première moitié du siècle avait pratiqué très habilement la rachianesthésie (appendicectomie par exemple) précédée d’une injection sous cutanée d’éphédrine (1928) avant d’opérer son patient.
Au début du XXe siècle, les techniques et les appareillages se perfectionnent. Les anesthésies, moins toxiques, peuvent maintenant se prolonger, ce qui ouvre le champ à des actes opératoires jusqu’alors impossibles. Après la Seconde Guerre mondiale, l’anesthésie devient une discipline médicale autonome, à laquelle est adjointe la réanimation.
Le 18 novembre 1948, le ministère de l’éducation nationale crée le diplôme d’anesthésiste-réanimateur, délivré dans les facultés de médecine. Grâce à la seconde guerre mondiale et l’apport des anglo-saxons dans la prise en charge des blessés, les français découvrent une spécialité qui s’est professionnalisée. Après des séjours dans les hôpitaux du Canada, des États-Unis et de Londres notamment, quelques pionniers français apportent dans leurs bagages, les techniques utilisées et le pentothal (utilisé en Afrique du nord à partir de 1942 puis en 1944 à la libération, mais dès 1941 avec la bataille de Pearl Harbor).
La découverte des curares de synthèse, poursuit l’œuvre de construction de l’anesthésie française à laquelle les infirmier(e)s anesthésistes participent de façon active, car dès 1949 est créé par la Faculté, un enseignement destiné aux paramédicaux, sanctionné par une attestation d’aide anesthésiste après la réussite des épreuves de fin d’étude.
En 1960 169 médecins exercent l’anesthésie en France. 3000 en 1980, 7500 en 1990, 11 877 en 2022, au 1er janvier 2023, ce sont 12 035 anesthésistes-réanimateurs, dont 38 % de femmes. Deux tiers travaillent dans la fonction publique hospitalière. Il y avait 3 811 anesthésistes libéraux en 2022, dont 199 nouveaux installés. Un quart d’entre eux ont plus de 60 ans.
Sont créés et mis sur le marché les produits suivants qui permettront une prise en charge plus efficiente, couplée à une professionnalisation des acteurs de l’anesthésie.
- Les hypnotiques :
• 1956 Howland : Hydroxydione (Viadril)
• 1957 Gruber : Composé 22451
• 1958 Greifenstein : Phencyclidine (PCP)
• 1959 Lear : Cyclohexamine
• 1960 Laborit : Gamma OH
• 1960 Taylor : Methohexital (Brietal
• 1965 Stovner : Valium
• 1967 Virtue : Ketamine
• 1968 Doenicke : Propanidid
• 1971 Clarke : Alfatésine
• 1973 Doenicke : Etomidate
• 1977 Glenn, Rolly : Propofol
• Palfium 1956
• Fortal 1964
• Nubain 1968
• Temgésic 1968
• Fentanyl 1972
• Stadol 1973
• Alfentanyl 1984
• Sufentanyl 1992
• Remifentanyl 1994
L’anesthésie par inhalation bénéficie de l’arrivée en 1956 de l’halothane du laboratoire anglais ICI, best seller de l’anesthésie dans le monde anglo saxon. C’est la recherche d’un fluide frigorigène par Frigidaire de General Motors dans les années 30 qui induisit la synthèse de l’halothane molécule aux propriétés anesthésiantes.
• L’éthrane 1963
• Le Forène 1965
• Le Desflurane 1960 mais commercialisé plus de 20 ans plus tard AMM 1996
• Le Sevorane 1981 AMM 1994
Les respirateurs d’anesthésie et de réanimation bénéficient d’innovations technologiques depuis 1952, avec l’arrivée de l’Angström 150 dont la mise au point est achevée pendant la grave épidémie de poliomyélite qui touche l’Europe du Nord.
- Le RPR et le le Bird Mark 7 sont commercialisés en 1955,
- le Fabius de Dräger en 1956,
- le Servo Ventilator 900 de Siemens en 1971,
- le Julian en 1996 et le Zeus de Dräger en 2009.
- D’autres respirateurs sont actuellement disponibles (Atlan 350, Perseus A500, Aisys CS2, Carestation 600 series...)
La sécurité en anesthésie a fait des progrès énormes. Les accidents d’anesthésie aux conséquences médiatiques et judiciaires quelquefois retentissantes, l’action des sociétés savantes vont modifier profondément les règles de bonnes pratiques. En France, trois grandes affaires avec des conséquences jurisprudentielles concourent à faire évoluer la sécurité en anesthésie : l’affaire Farçat, l’affaire Albertine Sarrazin, l’affaire de Poitiers.
Le monitorage se développe de façon intense.
– 1950 : Elam et Liston introduisent le monitoring du CO2 expiré par absorption de l’infra rouge.
– 1953 : Faulconer le premier à utiliser le spectromètre de masse en salle d’opération. Clark, électrode pour l’analyse sanguine et transcutanée.
– 1954 : Stow invente l’électrode sanguine CO2
– 1955 : Satomura introduit l’effet doppler dans l’exploration cardiovasculaire 1959 : Holter met au point sa technique d’enregistrement continu, ambulatoire et prolongé de l’ECG.
– 1960 : Shaw développe un oxymètre d’oreille qui sera commercialisé par HP
– 1967 : stimulateur de nerf mis en vente
– 1969 : 2 compagnies fabriquent des analyseurs de FiO2 polarographiques pour machines d’anesthésie
– 1972 : Mazze, plaidoyer pour l’utilisation d’analyseurs de FiO2. Lübbers monitorage transcutané de la PO2 pour prévenir les complications de l’hyperoxie chez les prématurés.
– 1975 : Nakajima teste l’oxymètre pulsé développé par Minolta. Développement de la SpO2 dans la décennie
– 1976 : Picard, Choffat, Bourson : informatisation de la feuille d’anesthésie -1981 : Cushman, Bushman : the semi-automated production of anesthetic record.
– 1990 : commercialisation du BIS pour analyse de la profondeur d’anesthésie
Réputée pour son exigence technique, l’anesthésie reste et sera toujours une activité à risque. Les progrès actuels et futurs aideront sans doute à accroître la sécurité anesthésique.
Les années glorieuses du défrichement sont derrière nous. Celles qui se profilent devant, doivent nous entraîner vers plus de sécurité, d’efficience et de reconnaissance de tous les acteurs qui derrière le rideau, permettent les « exploits » chirurgicaux que seul le grand public reconnaît.
En oubliant systématiquement les travailleurs de l’ombre, car le scialytique n’éclaire toujours qu’un côté du champ opératoire.
Arnaud BASSEZ
IADE
Administrateur
Formateur AFGSU
(Établie avec le concours de wikipédia, le club de l’histoire de l’anesthésie réanimation, le site medarus, chaouky.blog, le generaliste.fr et le site general-anaesthesia)
- ps : à lire par curiosité intellectuelle, le saint patron des anesthésistes.
- Les bulletins of anesthesia history
A noter une création de la Société Francophone de l’Histoire de l’Anesthésie et de la Réanimation (SOFHAR) qui semble en coma avancé...
- Les photos des ancêtres des respirateurs lors d’exposition à Copenhague et à Munich.
- Un petit complément sur le site d’un ancien chef de service du CHR de Lille.
- Describing A Latent Design Cycle In 100 Years Of Innovation And Adoption In Anesthesia Equipment : The Origin Of Awkwardness
- Enfin, l’histoire des drogues psychotropes. Très bien fait.
A signaler la time-line de la WFSA sur l’histoire de l’anesthésie. En complément à ce présent article.
La polio au Danemark en 1952 : une épidémie qui a façonné la médecine intensive
Publié le 28/12/2023
Au milieu du XXe siècle, une épidémie de poliomyélite a sévèrement touché les États-Unis. Cette lutte contre la polio a laissé un héritage significatif, marquant le début d’initiatives majeures de santé publique, notamment des essais en double aveugle du vaccin de Jonas Salk, auxquels ont participé plus d’un million de volontaires.
Cette lutte a également contribué à promouvoir la vaccination comme une mesure essentielle de protection contre les maladies infantiles. Une grande partie de ces progrès a été soutenue par la National Foundation for Infantile Paralysis, plus connue sous le nom de March of Dimes, qui a révolutionné la philanthropie et la recherche médicale.
La March of Dimes a joué un rôle essentiel en apportant un soutien financier crucial aux laboratoires qui ont jeté les bases des deux vaccins contre la polio. Elle a également aidé de nombreux scientifiques dans diverses disciplines, y compris des lauréats du prix Nobel tels que James Watson et Linus Pauling. De plus, la March of Dimes a amélioré les soins aux patients en permettant de fournir aux malades atteints de polio des « Iron lung », appareils de ventilation par voie externe se présentant comme des cuves de décompression, inventés par deux professeurs de Harvard dans les années 1920 pour ventiler les mineurs de charbon intoxiqués ou les personnes électrocutées.
Étanche et en forme de torpille, cette cellule qui enveloppe la majeure partie du corps du malade, faisait varier la pression de l’air dans l’espace clos pour stimuler la respiration. Cependant, ces cuves étaient difficiles à utiliser, car elles demandaient un nursing complexe, elles empêchaient tout contact humain, obligeant les patients à rester allongés sur le dos tout en observant le monde à l’envers à travers des miroirs suspendus au-dessus d’eux.
Du poumon de fer à la ventilation manuelle
En1952, le Danemark a également affronté une épidémie de poliomyélite, enregistrant près de 6 000 cas, dont la moitié à Copenhague, une ville de 1,2 million d’habitants. Les garçons âgés d’un à quatre ans étaient particulièrement touchés. L’hôpital Blegdam de Copenhague, spécialisé dans les maladies infectieuses, s’est rapidement retrouvé débordé, avec un seul Iron lung. De nombreux patients atteints de polio sont décédés, car les médecins étaient impuissants à les sauver.
C’est à ce moment que le Dr Bjorn Aage Ibsen, un médecin danois spécialisé en anesthésie, est devenu un acteur clé. Pendant son séjour aux États-Unis en tant que résident, il avait administré une anesthésie par inhalation à une jeune fille ayant une trachéotomie en la ventilant manuellement, réalisant ainsi la simplicité de cette méthode. De retour au Danemark au début de l’épidémie de polio, les respirateurs n’ayant pas encore été développés, le Dr Ibsen a mis en place la technique de ventilation manuelle après réalisation d’une trachéotomie.
La considérable demande de ventilation manuelle des patients a engendré un recrutement massif d’étudiants en médecine en raison de la nécessité d’assurer une ventilation continue 24 heures sur 24. L’approvisionnement en équipement a afflué, et le personnel de l’établissement hospitalier a doublé en effectif. Le gouvernement danois a financé tous ces coûts.
Au total, la lutte contre la polio a conduit à des avancées médicales et à la reconnaissance de l’anesthésie comme une spécialité légitime. La bataille contre la polio a laissé un impact durable sur la médecine et la santé publique.
Geneviève Perennou
Référence
Oshinsky D. The Autumn Ghost—The Danish Polio Epidemic of 1952 and the Birth of Intensive Care Medicine. JAMA. Published online October 31, 2023. doi:10.1001/jama.2023.18659
Source : JIM SA